Le rendez-vous

Concours poésie Palavas – 2018

Nouvelle récompensée avec le 2eme prix au concours national de BALLADE PHILOSOPHIQUE SUR LES RIVAGES PALAVASIENS

Vingt minutes à attendre… Elle se félicite intérieurement d’être arrivée en avance : réajuster promptement ses vêtements, vérifier sa coiffure, calmer son cœur. Réfléchir aux premiers mots à prononcer, au premier sujet de conversation à aborder. Rien ne doit être fait dans la précipitation. Rien ne doit être laissé au hasard.

Accepter ce premier rendez-vous ! Comment en a-t-elle été capable ? Un premier « oui » : un premier pas vers cet inconnu. Il visite ses nuits. Elle sent déjà poindre un sourd désir. La porte de l’espoir qui s’entrouvre. Une audace qui voit s’enflammer sa confiance en elle-même.

Un coup d’œil rapide à sa montre : un quart d’heure à patienter. Sentiment du temps qui ralentit malicieusement. Accélération du cœur. Observation de son reflet dans la vitrine du magasin. Cette mèche de cheveux rebelle. Elle aurait dû la couper. Ce détail la perturbe. Elle repense à sa longue et minutieuse préparation. Optimiser ses chances de séduction… Choix compliqués, dilemmes superficiels pourtant si primordiaux à ses yeux.

Encore dix minutes. L’excitation qui s’amplifie. Elle ne tient plus en place. Surtout, rester naturelle, ne pas dévoiler sa nervosité. Laisser croire à de l’assurance. Sans excès cependant. Trouver la juste attitude. Regards furtifs autour d’elle. Supputations, hypothèses… Est-ce lui, là-bas, qui semble chercher quelqu’un ? Cet homme athlétique s’avançant d’un pas hésitant ? Cet autre, assis sur ce banc depuis quelques instants ? Peut-être ne l’a-t-il pas remarquée et repartira-t-il sans lui avoir parlé ? Affolement du cœur.

Cinq minutes ! Quelle torture ! Supplice interminable… L’homme qui attendait vient d’être rejoint par une jeune femme. Déception. Le temps se rit de son attente. De son insoutenable attente. S’efforcer de penser à autre chose pour tromper cet ennemi. Son émoi va grandissant. Soudain, des pas derrière elle ! Ils s’approchent, pressés. Son cœur va exploser ! Ses jambes vacillent. Il est là, c’est certain ! Confus, bien sûr, de son retard. Vite, afficher le sourire répété inlassablement devant son miroir ! L’excuser avec un petit rire qui ne saura cacher ni sa nervosité ni son soulagement. Mais l’homme passe sans s’arrêter. Il poursuit son footing, indifférent à cette femme soudain éperdue.

L’heure du rendez-vous est maintenant dépassée. De deux minutes. Accélération du temps, subitement. Cinq minutes se sont déjà écoulées. Regards éplorés d’un côté, de l’autre. Refuser l’évidence. Imaginer, supposer : un ralentissement dans les transports, une panne de véhicule… Dix minutes. Il va surgir, elle y croit encore, bien qu’en son for intérieur, une autre vérité s’insinue et libère son venin. Vérifier sur ses sms l’heure du rendez-vous ! Elle s’est trompée, évidemment ! Peut-être même de jour ! Quelle idiote ! La voilà rassurée… jusqu’à ce que le sms la détrompe et ruine définitivement ses espoirs.

Ses jambes vacillent toujours, mais de désarroi cette fois. Epaules qui s’affaissent, maquillage qui coule sous ses larmes amères. Elle se trouve vieille, laide. Sa tenue vestimentaire ridicule. Se reproche sa crédulité, voire, sa naïveté. Elle avait pourtant mis toutes les chances de son côté pour connaître enfin la chaleur de l’amour, la douceur de la tendresse. Sa désillusion est immense, elle chute dans un abîme insondable et noir. Elle voudrait que, de battre, son cœur s’arrête.