Le printemps

 

La nature déploie sa palette de nuances olfactives et visuelles pour surprendre la promeneuse que je suis, guidée par ma seule curiosité de voir se transformer pratiquement en temps réel mon environnement.

L’air a abandonné sa texture froide et agressive pour se faire léger. Il emplit mes poumons d’un souffle nouveau, et apporte jusqu’à la moindre de mes cellules un bouquet de saveurs vivifiantes.

Au détour d’un chemin, l’aubépine, galvanisée par le chaud soleil, m’entoure de son parfum entêtant. Partout ce ne sont que senteurs toutes plus délicates les unes que les autres. J’en identifie quelques unes, mais il arrive que le vent les mélange, les combine pour créer ainsi une nouvelle fragrance dans laquelle j’essaie d’identifier les fleurs où il a puisé son inspiration.

 Je retrouve avec délice tous ces parfums et m’émerveille de cette mémoire spécifique qui me permet de m’en souvenir, année après année. J’identifie ainsi celui de la narcisse sauvage, et d’autres parfums encore, qui, véhiculés par le souffle du printemps, ravivent mes souvenirs odoriférants.

 Il me vient une idée : si je découvrais pour la première fois ces parfums, comment les analyserais-je ? Comment les percevrais-je ? Alors, j’essaie de me placer en situation en demandant à mon cerveau d’oublier pour un temps ce qu’il sait, de fermer à double tour les tiroirs de sa mémoire. Après plusieurs tentatives, il me semble parvenir en terre inconnue et les effluves  qui m’entourent me surprennent, me déroutent et me ravissent. Je respire à pleins poumons, capture et retient prisonnier ce délire de senteurs.  Il me semble, dirais-je, parvenir au cœur même de l’odeur, en ressentir toutes les subtilités, toutes les gammes. Comme sur une partition de musique, les arômes vont crescendo ou descendent vers des touches plus lourdes, paraissent un temps insaisissables pour mieux resurgir un peu plus loin. C’est prodigieux autant qu’enivrant.

Autour de moi, les verts n’en finissent plus de se décliner. La vigilance est de rigueur car tout se transforme très vite. Un pré, une forêt, un paysage, tout, à petite ou grande échelle, évolue très rapidement et une grande attention s’impose pour ne rien manquer du spectacle. La Nature ménage ses effets de surprise, elle intervient partout à la fois, mais à des moments différents, calculés, ordonnés, selon une mystérieuse organisation connue d’elle seule. Pourquoi cet arbre se réveille-t-il avant tel autre ? Et pourquoi, inversement, ce dernier sera-t-il le premier à porter des fleurs ?

Jamais la Nature n’a été aussi inventive. Elle est à l’apogée de son talent. L’œil se laisse prendre par la magnificence de ce qu’il découvre. Rien ne résiste à la grande révolution du printemps qui imprime partout sa marque. Même le monde minéral n’est pas oublié, les roches s’habillent de lumière et de chaleur, paraissent vivantes. L’eau des rivières devient à nouveau le miroir du ciel, s’écoule plus vivement, reflète toutes les couleurs nouvellement déployées et dépose sur ses berges les odeurs emprisonnées dans ses remous.

Et c’est en cela que réside le miracle du printemps. On pourrait penser avoir tout écrit, tout décrit à son sujet, mais chaque année, ce sont des émotions, un émerveillement toujours renouvelés qu’il libère.