Faux espoirs

En vain, j’ai attendu, avec à la main, mon dérisoire petit bouquet de jasmin. A vous guetter au lointain, j’aurais pu vous attendre jusqu’à demain.

Aujourd’hui, je suis venue mais pas jusqu’à vous, même si je vous avais quémandé ce rendez-vous. Déshonorant l’amour que votre cœur me voue, je n’ignore pas à quel point, il me désavoue.

Je ne peux pas me résoudre à l’évidence et revisite, en pensée, notre correspondance. L’un comme l’autre avançaient avec prudence sur le chemin des confidences.

Mille fois, je me suis projetée dans ce rêve, où, grâce à vous, le jour pour moi s’est levé. Votre passion naissante coulait comme la sève, vos sentiments mesurés m’offraient une trêve.

J’imaginais votre cœur déjà palpiter, me suppliant pour toujours de l’abriter, certain que vous auriez cultivé la fidélité. Avec infini bonheur, j’aurais tout accepté!

Délaissée, m’étiolant peu à peu, pour me sauver de la cage dorée d’où vous me libériez, mon âme s’était laissé obligeamment captiver tout en voulant préserver ma candeur.

Dans mon esprit, c’était établi. Votre amour frémissant m’était acquis. Dans mon être où la soif de vous naquit, votre délicate timidité m’avait conquis.

Ce dessein imparfait s’écrivait au présent. Telle la chenille, je m’extirpais de cet état larvé dans lequel nombre de femmes s’endorment.

Rassurez-moi, telle une hirondelle, vous étiez apeurée. Au bout de cette ruelle, vous allez arriver ?

En moi, la flamme d’un ailleurs scintillait. L’ombre que j’étais, en pleine lumière, enfin naissait !

Vos yeux ne m’avaient pas menti sur vos sentiments, je l’avais pourtant bien ressenti. Sur votre bouche gracile, en moi, retentit le clair murmure de votre amour pressenti.

Pourquoi tout a soudainement basculé ? Un doute insidieux à peine formulé ? Une hésitation pas même articulée, un remords, par l’éducation, véhiculé ? Au seuil de l’inconnu, pas prête à entrer ?

Ce couple, tout là-bas, hanche contre hanche… Cette vision suscite en moi une avalanche de déception et de chagrin mêlés. Je flanche. Dans le noir de mon désespoir, je me retranche.

La crainte d’un avenir inconnu à écrire s’ajoutant à celle de pouvoir m’accomplir, de m’emparer de ce que j’ai voulu devenir ? Pourquoi m’enfuir, sur le point d’aboutir ?

C’est fini désormais, aucun motif d’espérer. Vous avez été une douce rêverie à peine effleurée. Votre orgueil vous a conduite à m’ignorer, vous n’avez pas hésité de me déchirer.

Je sens mon cœur battre, à tout rompre, d’émotions soulevé, de lui refuser de venir vous retrouver ? Comment expliquer, comment lui justifier cette idylle inachevée ?

Devant cette infâme cruauté, je capitule. Attendre après vous relèverait du ridicule. Face aux passants, mon malheur je dissimule, et m’éloigne, mes pensées orphelines, vers le crépuscule.

Esprit en lambeaux, âme laminée, la raison m’a vaincue. A elle, je suis enchaînée. Vos espoirs, à jamais assassinés, par ma faute, vous souffrez. Sans voir, je le sens, je le sais.

Pourrez-vous, un jour, me comprendre, à défaut me pardonner ?

Enquête

À quel moment se sont produits les faits ?

– Je ne saurais pas vraiment situer le moment où je l’ai retrouvé en fleurs. Pourtant, j’étais bien décidée cette année à ne pas me laisser surprendre. Embusquée derrière ma fenêtre, ou assise sur les marches du jardin, les yeux étrécis comme ceux d’un chat qui traque sa proie, je l’ai observé longuement, patiemment.

Qu’avez-vous remarqué ?

– Un matin, alors que je reprenais ma surveillance, j’ai retrouvé les branches entièrement recouvertes de bouquets de couleurs partis à l’assaut de l’arbre. Comme par magie ! J’avais bien noté, la veille, de ci, de là, des débuts de fleurissement, mais tout semblait progresser si lentement, sans brusquerie.

Quelle explication pouvez-vous avancer ?

– D’après mon enquête, pendant la nuit, son complice, le vent d’autan, a répandu son souffle chaud. Activant la montée de sève, il a effeuillé les sépales pour libérer les fleurs, gonflé les derniers bourgeons pour les faire éclater. Le résultat ne s’est pas fait attendre : l’arbre est devenu une immense apothéose rose et blanche. Lancé comme un feu d’artifice odorant vers le ciel, il le semblait le défier pour déterminer qui, des deux, possédait les couleurs les plus lumineuses.

Vous n’aviez donc aucun « indic » fiable pour vous alerter ?

– Si, bien sûr ! Les oiseaux, camouflés dans les branches, m’envoyaient régulièrement des messages codés. Dès l’aube naissante, je les écoutais, fascinée par leurs trilles.

Vous avez ainsi échoué dans votre enquête pour comprendre comment le printemps nous surprend chaque année immanquablement…

– Vous vous trompez…

Quelle impertinence !

– Non… Pourquoi vouloir répondre à cette question ? Laissons-lui son caractère insaisissable et éphémère qui en fait sa beauté et sa saveur. Parce qu’il ne se produit qu’une fois par an, sa splendeur nous est précieuse.  Parce qu’il annonce le retour de la vie, il nous entraîne avec lui vers l’avant, nous fait sortir de l’ombre. Certes, sa lumière surprenante dérange parfois, nous en avions oublié son éclat, tout comme le prisonnier reclus au fond d’une grotte protège ses yeux du soleil après une longue captivité.

Mais il ajoute un an de plus à nos vies qui s’écourtent ainsi année après année !

– Je le concède, mais ce caractère inéluctable n’est qu’un passage de relai. En effet, peu de temps après la floraison complète de l’arbre, la brise s’est installée. Il tombait en flocons sur l’herbe vert tendre ce qui n’existait déjà plus : les pétales. Et, alors que j’aurais voulu retenir leur délicatesse immaculée, j’ai vu poindre avec émotion les premières feuilles. Encore un peu et de beaux fruits pleins se sont formés, progressant vers leur pleine maturité que rien ni personne ne pouvait ralentir et encore moins empêcher. Ainsi va la vie, quand on croit la saisir, elle file entre les doigts. Laissons-la venir à nous, acceptons-la. Nous en sommes les fruits, apprécions à notre tour de devenir cet arbre éphémère offert au rythme des saisons, juste le temps de porter des fruits à notre tour…

Renku : Trois voix

Quelle direction ?
Quel chemin est le plus sûr ?
Peur de me tromper…

Réfléchis quand même…
Tu n’as pas droit à l’erreur
Ne prends pas de risque.

Tu compliques tout
Te poses trop de questions
Tu dois lâcher prise

Mais alors que faire ?
Je voudrais que la vie soit
Simple comme un souffle.

Volonté, audace,
Tu n’as rien de tout cela,
Pas même de la force !

Mais avance donc !
L’action est déjà réponse.
Sois confiant en toi !

L’angoisse m’étouffe
Je regarde l’avenir
Avec inquiétude.

Tu raisonnes enfin !
Reste tranquille chez toi,
Ferme tes volets…

Ouvre donc tes yeux !
Veux-tu oser vivre un jour ?
Debout ! Tiens-toi droit !

J’ai compris… Je vois…
Tous les chemins sont la Vie,
Même les impasses.