Derniers souffles de couleurs

Poésie libre

 

Comme un deuxième printemps,
Octobre se fait doux.

Partout sous la frêle futaie,
Il répand son parfum d’humus,
Terreau de promesses de vie.

Au-dessus de ce tapis de feuilles sèches
Apparaissent encore des camaïeux de verts.
Ils s’opposent, dans un combat muet,
Aux teintes mordorées des branches,
Déjà vaincues par l’avancée de l’automne.

Cette robe chatoyante que revêt la forêt
Charme l’œil et enivre l’âme.
Les feuillages aériens et évanescents des hêtres
Continuent pour quelques jours de plus,
A déployer leur grâce, rivalisant avec la légèreté de l’air.

Les troncs érigés en sentinelles intemporelles
Se font protecteurs et invitent à la quiétude,
Témoins fragiles d’un présent qui déjà s’échappe.
Tel un flambeau qui s’éteint dans le noir,
Octobre devient roux.

Vagues de digressions

Peinture de Gustave Caillebotte

Sur la plage de ma mémoire, je chemine.
Çà et là se sont échoués des souvenirs,
Fragments de vie inanimés sans avenir,
Altérés par les ans à la douce patine.

Ils sont tissés de cette étoffe diaphane,
Fragiles et pâles comme brume en été.
Leurs contours indécis, tout en légèreté,
Racontent qu’avec le temps, toute chose fâne.

Des regrets chagrins que le ressac raccompagne,
Persistent toutefois, imparables récifs,
Où la mélancolie, pointillés corrosifs,
Blesse mon âme, quand la nostalgie la gagne.

La mer enlace le ciel de ses bleus turquoise,
Jusqu’à l’horizon qui s’exalte à scintiller.
Ils combinent leurs énergies pour m’habiller
De satine, tel le velours de la framboise.

La clepsydre s’écoule au rythme des marées.
L’amour retrouvé, le plus puissant des ferments,
La paix revenue chassant craintes et tourments,
Teintent l’écume de nos rêveries moirées.

Femme de toi

Peinture de Jack Vettriano

Du nacre de la soie, j’ai habillé mes seins ;
Les échos de ta voix font frissonner mes reins.
Ma nuque réclame le parfum de ton souffle
Tandis que le rose de mes joues je camoufle.

Un frisson égrène son intime tourment,
Cristallise en désir le moindre frôlement.
Mes mains cherchent à tromper mon impatience,
De mon âme jaillit un serment d’allégeance.

Mes sens incandescents plaident en leur faveur,
Rassurés maintenant par tes yeux butineurs.
Une chaleur sourde s’insinue dans mon être,
Je dérive vers toi, dans tes bras m’enchevêtre.

Intrépide passerin

Poésie libre

 

Depuis toujours, il traque ce moment, l’espère :
A tire d’aile il s’envole vers l’arc-en-ciel,
Accaparer ce perchoir immatériel,
Capturer pour sa superbe, ce réverbère.

Une idée le poursuit : en découvrir la source
Pour toujours le garder brillant de mille feux
Ne plus s’en séparer, compagnon malchanceux,
Quand le soleil l’éclipse de sa grande course.

Voici l’oiseau s’épuisant après ce mirage ;
Sur son origine il enquête sans répit :
Le ru l’a vu naître, ne lui a-t-on pas dit ?
Mais celui-ci n’a que faire de ce tapage !

Il colère de n’avoir aucune réponse.
Il tente désespérément de crocheter
Les arcboutants lumineux semblant emportés
Par le temps qui cadence ses coups de semonce.

Du spectre continu, il suit la trajectoire ;
Il s’imprègne de ce dégradé de couleurs.
Il veut en devenir l’incontesté seigneur
Dont la ténacité entrera dans l’histoire.

C’est ainsi que notre valeureux volatile
S’empara des sept nuances de l’arc-en-ciel,
Devint, grâce à son sang-froid providentiel,
Un étincelant passerin très volubile !

L’âme poète

Poésie classique

 

J’écoute respirer l’âme de ton poème.
Elle est venue vers moi dans un souffle ténu,
M’offrant à écouter le secret détenu
Dans les phrases tissées au gré de la bohème.

La bruine des mots, émouvante et légère,
Se dépose sur moi, m’abreuve de senteurs.
Sous ce charme discret qui glisse avec douceur,
Se mêlent leurs accents comme fleurs en jachère.

La lecture prend fin, reprenant avec elle
L’arc-en-ciel étrange que suscite l’émoi,
Face au raffinement de ce sonnet courtois
Emaillé d’images, coloré d’étincelles.

Je garde cependant de cette féérie,
La musique rythmée de ton fébrile amour.
Ses notes s’inscrivent un peu plus chaque jour
Dans ma certitude d’être ton égérie.

Message prioritaire

Poésie libérée

 

J’ai capturé une volée de mots :
Ils devisaient au bord du dictionnaire.
Etonnés de ma présence soudaine,
Tout refuge dans les pages fut illusoire.

Se croyant aux mains d’un négligent inculte,
Affolés, ils laissaient échapper leurs lettres.
Les barres des « t » basculaient dans le vide,
Les accents s’envolaient et les jambages cassaient.

N’ayez pas peur, mes amis ! m’exclamai-je.
Reprenez-vous et venez autour de moi.
Un peu rassurés, ils se regroupèrent enfin
Pour écrire : Que nous veux-tu ?

Les mots sont de grands craintifs :
Toujours à redouter un détournement de leur sens,
A s’inquiéter d’être incompris, méconnus,
De perdre en précision ou en nuance.

Pour les mettre en confiance,
Je sortis une feuille blanche chatoyante,
Une plume assoiffée d’encre bleue,
Avide de caresser le papier impatient.

Alors, ils vinrent s’organiser sur la page,
Se regroupant par famille, par idée.
Certains possédaient plusieurs sens,
D’autres, un sens figuré, seconde identité.

Comme ils étaient plutôt chamailleurs,
Ils firent appel à la ponctuation
Pour éviter toute cacophonie.
Je louai leurs bonnes intentions.

Bientôt, je fus à même de lire leur message.
Composé de termes élégants et ciselés,
Il nous invitait à prendre soin d’eux,
A ne pas les galvauder contre « franglais » et smileys.

 

Métamorphose

Poésie libérée

Il défait son œuvre dans le plus grand secret,
Petite chenille jadis conçue par lui.
Avec exigence, passant inaperçu,
L’accoucheur de papillons se met au travail.

Un miracle inlassablement renouvelé
Inexplicable et toujours immuable,
Qui s’entoure de silence et de mystère.
L’accoucheur de papillons procède avec soin.

Rien n’est laissé au hasard cependant,
Tout s’accomplit avec méthode
En suivant le métronome du temps.
L’accoucheur de papillons compose, délicat.

Impossible de deviner ce qui se trame
Dans le cocon de soie opaque en mutation.
Il ne livre aucun son, aucun mouvement.
L’accoucheur de papillons a terminé, il s’arrête.

Un jour enfin, un frisson se dessine.
L’insecte a oublié le corps qui était le sien,
Pour émerger dans une vie éphémère de couleurs.
L’accoucheur de papillons observe…

Ailes chiffonnées, le machaon s’en remet à la brise.
Il sèche sa voilure chamarrée à l’air tiède,
S’envole, ivre de liberté, vers sa folle aventure.
L’accoucheur de papillons sourit…

Quelques bribes de soie restent encore là,
Preuves de la métamorphose accomplie.
Mais déjà il doit se remettre au travail,
L’accoucheur de papillons est attendu plus loin…

Connaître sa peur

Le courage lui manque face à l’existence,
Frêle saltimbanque sur son instable fil.
Je m’élance demain, se persuade-t-il.
Comptant secrètement sur Dame Providence.
 

Hélas le lendemain, se sent-il aussi blême :
La nuit n’a rien réglé, l’obstacle est toujours là.
Se croyant incompris, en furie le voilà,
Mais à qui s’en prendre, se plaint-il à lui-même…
 

Avec autour de lui la vie en filigrane,
Il en perd les couleurs, en oublie sa saveur.
Il voit s’enfuir le temps, se priver du meilleur,
Alors redoute-t-il que vite tout se fane.
 

Pourquoi baisser les bras ? Tout autour de moi chante.
Se questionne-t-il, du fond de son tourment.
Il est temps d’engager ses forces bravement,
D’aviver son sang-froid, sa volonté naissante.

Il consulte le ciel, écoute sa réponse,
Sonde les étoiles, chante avec le zéphyr.
L’horizon s’éclaire de cristal bleu saphir,
Ses nuits s’embellissent, vers son combat il fonce.
 

Il a connu la peur de sa propre lumière,
Craint de se découvrir brillant, talentueux.
Vivre toujours petit n’apporte rien de mieux,
N’incite aucun humain à quitter sa tanière.

Il s’était libéré, d’un sursaut de courage,
De l’obscure angoisse qu’induisait sa valeur.
Il délivrait chacun de la même frayeur,
Procurait confiance à tout son entourage.

Faiblesse et volonté

L’existence répand à tout vent des naufrages.
Son souffle administre bonheurs comme tourments.
Nul ne peut songer échapper à ses orages,
Ils laissent derrière eux un gouffre d’errements.

Tapi en silence, chacun se barricade :
Le malheur pétrifie, comment le surmonter ?
Même celui d’autrui pousse à la dérobade,
Par peur d’être souillé, de devoir l’affronter.

Aujourd’hui cependant, il se tient à ma porte,
Son visage à l’abri d’un boniment sournois.
Je défaille, meurtri d’attaques en cohorte,
Flèches de désarroi tirées de son carquois.

Dans son acharnement, il a jeté la force
D’une vague de fond, ce laminoir puissant.
Il me laisse exsangue de son baiser atroce,
Encore en vie pourtant, miracle étourdissant.

Sors de cette gangue ! crie mon âme en détresse.
Stupide gageure ! réfute ma raison.
Ce dilemme muet exhale sa caresse,
Onde vénéneuse au redoutable poison.

Mes amis m’arrachent de ma piètre posture,
M’offrent du miel goûteux, un rayon de douceur.
Ils ravivent ce feu dispersant la froidure,
Me poussent gentiment à chasser ma torpeur.

Je me redresse alors, droit dans ma plénitude,
Les yeux levés au ciel pour le prendre à témoin :
Ce cadeau altruiste demande gratitude,
Le transmettre à mon tour à ceux dans le besoin.

Quoi de plus généreux : relayer sa sagesse,
Dispenser sa chaleur à celui qui a froid…
Procurer courage, quand la douleur oppresse,
Recevoir et donner, ainsi je le conçois.

La nuit de l’océan

Devine la nuit qui avance,
Sur l’océan tempétueux.
L’air et l’eau, amants ténébreux,
S’entrelacent sans résistance.

Regarde la nuit qui tempête,
Terrorise les matelots.
Noyés de peur, sous leurs sanglots,
Ils ne rêvent plus de conquête.

Respire la nuit qui chagrine
Chaque être qu’effleure son doigt.
Elle ouvre un abîme d’émois
Où tout espoir se dissémine.

Découvre la nuit qui tourmente
Les marins de son noir courroux.
Frêles pantins de caoutchouc
Jetés sur la vague impudente.

Ecoute la nuit qui ruissèle
Sous la houle et son baiser froid.
Les hommes sont tous aux abois,
La démesure les harcèle.

Ignore la nuit qui t’attire,
Veut t’égarer dans ses enfers.
La folie guette de concert,
T’emportera, pour te maudire.