Rêverie

J’ai déposé sur ma feuille
Quelques mots pris au hasard.
Au hasard de mes rêves,
De mes joies et de mes peurs.

J’ignorais où cela me mènerait
Tant j’ai laissé ma plume divaguer.
Divaguer et délirer sans limite,
L’esprit ivre de liberté infinie.

Les mots cascadaient en couleurs,
Leurs embruns chargés de douceur.
Douceur fragile du moment,
Inimitable parfum de sérénité.

Qu’avais-je bien pu écrire
Pour m’apporter cette paix ?
Paix impalpable, irréelle,
Et pourtant si présente en moi.

Je ne pus jamais déchiffrer
Ce que mes doigts avaient tracé.
Tracé indistinct d’un instant éphémère
Où j’avais su lâcher prise.

A l’aube, la lumière…

A l’aube,  la lumière…

Quelle affaire ! Capturé par le faisceau d’un projecteur unique braqué sur lui ! Le voilà debout au milieu de ce cercle de lumière crue. A l’étroit comme dans un costume étriqué. Tout est noir au-delà. Du reste, où est-il ? Sur une scène de théâtre, peut-être.

Qui a osé s’emparer ainsi de lui ? Un bond de côté, un pas en arrière, un plongeon en avant : impossible d’échapper. Le poursuiteur lui fait corps.

Quel tortionnaire l’emprisonne ? Il relève la tête : l’apercevoir, l’identifier ! Ne dit-on pas qu’il vaut mieux connaître son ennemi ? Mais ses yeux brûlent de mille étoiles aveuglantes.

Quand cela a-t-il commencé ?  Sa mémoire est cousue de silence.

« N’y a-t-il donc personne ? » sanglote-t-il plus qu’il ne crie. A la vitesse de la lumière, la réponse l’assaille intempestivement : le vide.

Ne pas s’avouer vaincu. Vite, une idée pour sortir de là ! Il s’élance sur l’échelle spectrale de ce puits lumineux, grimpe aussi haut qu’il peut jusqu’à ce que le rayonnement froid glace ses os, son sang. Il retombe à genoux, se sent isolé plus que jamais dans ce rond trop blanc, trop parfait.

Le désespoir l’accable. Captif de cette île minuscule immatérielle, entourée de néant. La lumière, dépeinte pourtant comme source de vie, se comporte ici de façon intrusive. Elle s’impose sans laisser le choix. Elle est despotique.

« Pourquoi, mais pourquoi ? » se lamente-t-il. Tapie dans le noir, la panique attend patiemment son tour…

Il se met en boule pour offrir seulement son dos au pinceau cruel qui continue de le cerner, impassible. Fermer les yeux, se replier davantage sur soi-même. Réfléchir. Fouiller dans les tiroirs de son imagination pour fuir !  Et ce, à n’importe quel prix !

Son cœur se calme, enfin. Une pensée, fugace d’abord, joue des coudes pour se faufiler dans son esprit chaotique. Et s’il existait, cachée en lui, une issue ? Un passage qui sommeillerait sans qu’il le sache, sans même qu’il s’en doute ? Chercher au-dedans pour s’échapper de l’intérieur. Peu à peu, ce scenario a priori absurde, s’éclaire de vraisemblance.

Il pense à tous ceux qui l’aiment et ne savent pas dans quel pétrin il s’est fourvoyé. Non ! Il voulait dire : tous ceux qu’il aime. Bien sûr… Enfin… Laquelle des deux phrases sonne juste ? Laquelle l’est moins ? D’ailleurs, qui l’aime vraiment encore un peu ? A part Elle ?

Au demeurant, que fait-Elle, en ce moment ? Se préoccupe-t-Elle de lui ? Bien sûr que non !

Ce matin encore, en partant… Violemment et sans prévenir, la lumière darde sur lui une attaque si furieuse qu’elle en vrille son crâne. Quoi ??? Que se passe-t-il ? Qu’a-t-il dit ? Nouvel assaut. Il sait… Il sait bien, au fond de lui, à quel point il se ment.

Ce matin encore, en partant… il a négligé son regard triste. Il a ignoré sa tentative vaine de caresser sa main. Depuis longtemps, il observe sans sourciller tout cet amour qu’Elle lui voue mais qui s’étiole, faute d’être recueilli et surtout nourri de réciprocité. Il s’amuse de ce sentiment de lassitude qui teinte ses paroles d’une ombre mélancolique. Il entend, mais n’écoute pas. Voit, mais ne regarde pas.

Voilà ce que pointe ouvertement son analyse. Un constat imparable, glacial qui l’agresse. Sauvagement. Sans concession. Cette vérité devient à ce point insupportable qu’il s’évanouit sous le choc.

Il doit certainement être mort car son corps est maintenant allongé sur une table d’opération, la poitrine béante. Le chirurgien peine à trouver son cœur. « Vous pouvez refermer, ordonne-t-il à l’interne. Cet homme n’a pas de cœur. Passons-le toutefois au scanner ! »

La machine scrute minutieusement son organisme. Aucune résonnance pourtant qui pourrait indiquer le moindre signe d’humanité. Le radiologue diagnostique sur un ton péremptoire : « Cet homme ne possède pas de carte des émotions, ces dernières sont régulées systématiquement par son cerveau qui refuse d’exprimer quoi que ce soit sinon de la froideur. C’est tout sauf un homme !»

Le verdict est tombé : ce n’est pas un homme. Mais alors, qui est-il ? Pire : qu’est-il donc ? L’équipe chirurgicale l’a laissé seul dans le bloc opératoire. Seul avec cette image de lui qu’il découvre dans le miroir sur le mur opposé. Au fait, qui l’a placé là ? Il ne se reconnaît pas davantage dans les conclusions des médecins. Certes, il admet toujours avoir mis en place une infinie variété de stratégies de contrôle et d’évitement des émotions. Ce n’est certainement pas lui qui se laissera émouvoir ! Il n’est pas peu fier d’être parvenu à ce conditionnement, et de réussir, au prix de beaucoup d’efforts à inhiber ses sentiments. Surtout ceux positifs.

Le bruit d’un verrou qui saute, celui d’une porte qui s’ouvre à toute volée : d’où proviennent-ils donc ? De son être ? Il n’a pas le temps de comprendre qu’il fond en larmes, un torrent, une crue. Il s’écroule, submergé sous le poids de cette révélation impensable : sa peur irraisonnée de donner de l’amour autant qu’en recevoir. Une peur qui le sclérose, l’étouffe, l’empêche de vivre et qui remonte aussi loin qu’il se souvient.

Insoutenable douleur d’être, insoutenable douleur de l’être. Le temps a suspendu son souffle pour lui laisser le temps de reprendre le sien, la lumière du projecteur s’est faite plus douce pour qu’il voie celle, colorée, qui monte en lui.

Encore secoué de hoquets et de sanglots, il se relève, animé d’un élan vivifiant. Il va réécrire sa vie, jeter sa carapace aliénante, reprendre le cours de son histoire, réparer ce qui peut l’être encore. Elle deviendra, Elle, la scénariste de leurs rêves. Il en dessinera les chemins qu’ils illumineront ensemble de couleur. L’ombre et le froid seront proscrits, l’amour sera l’invité permanent au banquet de la vie. La fluidité de l’amour qu’il éprouve pour Elle, lui donnerait presque le vertige. Un instant, il se demande comment Elle va réagir…

Il pose sa veste sur son épaule et s’élance vers sa destinée devenue si limpide. Ils ont désormais tant à vivre ! Tout excité à l’idée de retrouver celle qu’il aimait depuis toujours, il ne s’aperçoit pas combien il est devenu lumineux…

 

Une lecture

Ce livre posé devant lui, c’est celui de sa vie… Il le reconnaît. Qui l’a laissé là ?

Il pose sa main sur sa couverture, la caresse. A la fois rugueuse comme le rocher et veloutée comme peau de pêche. Il s’en dégage une odeur colorée de douceur et de violence. Sa main se crispe, pressentant le contenu. Il ouvre ce livre, le feuillette d’abord. Mais une lecture systématique, page après page, n’apporterait rien qu’il ne sache. Il préfère le parcourir rapidement. Non pas pour céder à une impatience quelconque. Peut-être simplement pour ne pas revivre certains écueils.

Passent les années sous ses yeux. Il est médusé de celui qu’il découvre, étonné de le voir traverser cet espace-temps défini par deux butées : celles de sa naissance et l’autre, qu’il ne peut encore apercevoir. Il prend conscience de représenter un moment insignifiant dans l’éternité de l’univers.

Ses doigts effeuillent ce livre, il se voit avancer sur le chemin de sa vie. Son pas semble désormais à la fois plus assuré, plus ferme parce qu’il a appris et retenu, parce qu’à l’approche du terme de son apprentissage, il a compris . Mais aussi plus lent parce qu’il n’est plus pressé de la dévorer à toute vitesse. C’est elle qui l’absorbe maintenant, l’amenant peu à peu vers la dernière page, vers le dernier mot, qui en font la clôture.

Il ne sait s’il doit pleurer ou sourire de cette issue inéluctable. Qui lui a permis de vivre ce qu’il a vécu ? Qui décidera du moment où il devra partir à jamais ? Est-ce décidé de manière arbitraire ? A quel moment ses cellules ont-elles programmé leur suicide ? Et là aussi, qui aura guidé leur décision ?

Il n’a que faire de toute notion de temps, son âge n’a plus aucun sens ni aucune utilité. Seul compte ce qu’il est. Seul lui importe d’accroître sa connaissance de la vie. Il veut engranger autant que possible, s’enrichir au fleuve inépuisable de l’existence. Il est le moissonneur dans la fébrilité d’abriter sa récolte avant l’orage sur le point d’éclater. Parfois l’audace l’a poussé à se persuader de tout savoir, d’avoir tout compris. A chaque fois, la vie l’a rappelé brutalement à l’ordre et les larmes versées à plus d’humilité.

On n’en finit jamais… Cette quête incessante, cette soif insatiable sont l’apanage de tout être vivant. Chaque erreur fait grandir, chaque chute donne l’occasion de se dépasser. La quête d’un sens, « du » sens. Qui peut se targuer d’avoir une réponse ? Personne. La vie est ainsi faite, à chaque semblant de réponse esquissé, tout se dérobe ou s’évanouit. Il n’existe pas de Vérité. Elle est multiple, elle est différente à chaque page du livre.

Peut-être aujourd’hui se contentera-t-il du paysage qui s’offre à lui et ne cherchera-t-il pas à regarder au-delà de lui-même. Il a encore toute la vie devant lui pour se remettre en route…

Le coquelicot

Concours régional de poésie Poitou-Charentes – 2019

Le coquelicot

ABBA / ABBA / CCD / EED

Caressé par le vent, je suis né ce matin.
Le champ éclaboussé d’un or rouge garance
Foudroie de verdure chargée d’exubérance
Les soubresauts de l’hiver, tel un piètre pantin.

Un à un s’étirent mes pétales satin.
D’un vibrato moiré, le soleil les défroisse,
Darde ses chauds rayons pour que sa chaleur croisse.
Sa brûlure pourtant va sceller mon destin.

Le temps ironise sur ma fougue improbable,
Mon ardeur obstinée, cependant vulnérable ;
Car je ne peux cacher cette fragilité.

Déjà faiblit ma vie, altérée par la brise.
Son souffle desséchant suinte d’aridité.
Tombent mes fruits amers, dans mon champ j’agonise.