D’abord, déterminer un sujet qui sera pour moi prétexte à l’écriture. Puis partir à la recherche des mots qui l’exprimeront au mieux, les débusquer vaillamment, car ils ne sont pas toujours accessibles. Ils savent se faire prier en se dérobant à ma quête, jouent les espiègles par des sens dérivés qui ne correspondent pas précisément à mon idée.
Quelques pistes dignes de confiance peuvent être exploitées : consulter la bibliothèque de ma mémoire, interroger mon cœur et sonder mon âme, car les registres utilisés par chaque partie de mon être répondent à des sensibilités différentes.
Des termes choisis judicieusement, patiemment pesés, épinglés, évalués à leur juste valeur trouvent déjà leur place sur ma feuille de papier. Savoir retravailler la première esquisse : garder les idées essentielles qui serviront de trame et examiner à la loupe tous les mots qui se présentent à mon esprit pour les trier sans état d’âme et coller ainsi au plus près de ma pensée. Ensuite, les ordonner savamment les uns après les autres, les uns avec les autres, comme les pierres blanches sur un chemin nocturne guiderait vers l’épilogue.
Les apprivoiser, les laisser venir… Jouer avec eux, avec leurs couleurs, leurs sens seconds ou sous-entendus. Me laisser porter par leur musicalité. Écrire des partitions où les notes seraient des enchaînements de camaïeux d’émotions. Partir en territoire inconnu, redécouvrir les significations cachées ou oubliées des mots, les possibles ailleurs sur lesquels ils débouchent.
Les écouter résonner en moi : trouvent-ils écho dans mon cœur ? Puis, en habiller l’histoire qui ne demande qu’à naître et vérifier si ce vêtement cousu de toutes pièces lui sied parfaitement. Il s’agit de ne pas me tromper, d’opérer avec la précision du sculpteur pour ne rien trahir. Un coup de ciseau maladroit, et l’œuvre est défigurée. Une erreur d’appréciation sur un terme brise toute la portée du texte, le dénature. C’est pourquoi il est impératif de se montrer intraitable avec les mots, exiger la quintessence de tout ce qu’ils véhiculent.
Tel un chef d’orchestre, l’étape suivante consiste à coordonner avec minutie les différentes harmonies suscitées par la musique des enchaînements de mots, donc de phrases. Il faut faire preuve de virtuosité pour donner l’impulsion, insuffler le rythme. Et, crescendo, obtenir ainsi avec maestria une unité parfaite au service de ma pensée.
Tel le peintre devant sa toile, je m’emploie à marier leurs couleurs pour créer une infinité de tons jamais imaginés, pour inventer des nuances plus subtiles les unes que les autres. Et j’essaie de peindre alors des tableaux qui donneront à mon histoire sa véritable dimension. Je pourrai y entrer par la seule force de ma volonté, parcourir les paysages que j’aurais ainsi créés, m’arrêter pour prendre le temps d’apprécier, me désaltérer de ma poésie.
Me voilà transformée en musicien de mon âme, en peintre de mon cœur.
On peut sans conteste parler de magie des mots, d’une alchimie secrète qui leur donne vie dès lors qu’ils sont juxtaposés, qu’ils s’allient pour former des phrases. Pris isolément, leur puissance se limite à leur seule signification. Un esprit avisé les soupçonnera de receler des secrets, saura pressentir leur prestige, leur influence, entreverra les combinaisons possibles entre eux. Combinés, ils sont investis d’un pouvoir incommensurable. C’est l’effet cumulé de l’esprit que chaque mot porte en lui. Interconnexion subliminale que je ne peux expliquer mais qui me livre de belles émotions.
L’écriture se veut inégale. De temps en temps, je peine à exprimer mon état d’esprit. À d’autres moments, mon crayon ne m’appartient plus. Pris d’une ivresse difficile à refreiner, le graphisme devient compulsif, rapide. Ma pensée court plus vite que ma main et c’est fébrilement que je peine à la suivre, éprise d’une vague angoisse à l’idée de voir mon inspiration se tarir brusquement.
Parfois encore, je déclame à haute voix ce que j’ai confié à ma feuille de papier. Alors, ce sont d’autres sensations qui fusent en moi, tout prend encore un sens différent, plus profond, plus fort. Le poids des mots monte en puissance.
Puis je laisse mon récit se décanter. Le temps nécessaire pour que mûrissent les idées, pour qu’éclosent les fleurs semées dans le terreau de l’écriture. Cette dernière est un refuge que je quitte presque à regret pour reprendre pied dans mon quotidien. Pendant cette interruption, un travail intérieur s’opère par à-coups, des portes volent en éclats, des verrous sautent, des réponses s’imposent, des questions s’invitent. Mon sommeil est visité régulièrement par un mot : c’est justement celui-ci que j’ai cherché toute la journée, celui-ci et pas un autre. Vite, le noter quelque part.
Je reprends à nouveau mon texte. La frustration grandit de l’insatisfaction éprouvée à la lecture de certains passages. Je m’invective de ne pas trouver les termes propices, modifie, précise quelques points, relègue un mot ou deux pour les remplacer par d’autres plus justes. Je deviens obsédée par la recherche de la précision. Le choix des champs lexicaux, des tournures de phrases tourne au dilemme. Je les choisis méticuleusement, comme un ouvrier consciencieux le fait avec ses outils.
Enfin, un jour, un soir, comment savoir… je pose définitivement mon crayon, lasse d’avoir autant trituré mon esprit pour un résultat qui m’apporte peu de satisfaction, si ce n’est le soulagement d’avoir mis un point final. Tout est là, du moins l’essentiel. Un regard global sur mon texte lui donne soudainement vie et je vois avec surprise s’envoler tous ces mots pour former un long ruban multicolore qui s’enroule autour de moi. Je me mets à danser en virevoltant sur moi-même, accompagnée par cette écharpe qui en fait autant. J’écarte les bras, tourne, tourne, regarde le ciel vers lequel s’envolent tous mes écrits, ris, pleure… Jusqu’à ce que, fatiguée, je m’allonge sur le sol et que cette écharpe retombe sur moi comme une douce couverture translucide. Elle laisse filtrer ma respiration apaisée par l’odeur de l’herbe et de la terre confondues. Lentement, descendent sur moi les étoiles, tel un infime fragment de la sagesse de l’Univers…