Je parcours la montagne, marchant dans un chemin creux façonné par le temps. Ma main tendue s’ouvre et s’offre au vent pour me rappeler que la vie passe avec lui. Je le laisse m’envelopper et m’habiller de son souffle.
Mon regard caresse le tronc noueux du chêne que j’étreins à pleines paumes pour y puiser la force nécessaire. J’unis ma respiration à la sienne.
Mes yeux s’attardent sur les racines entremêlées du hêtre entre lesquelles mes pensées vont se blottir et faire corps avec elle.
Mais voici qu’un coquelicot piétiné et abandonné par quelque promeneur irrespectueux gît à mes pieds.
Je suis émue devant l’infinie douceur qui en émane, bouleversée par sa fausse désinvolture, étonnée de sa beauté sans artifice, mais surtout attristée par tant de fragilité malmenée.
Se peut-il qu’une fleur puisse être tout cela à la fois ? Ou bien, coquelicot, serais-tu mon propre reflet ?
Mais déjà, voilà que tombent les pétales, emportant un à un l’âme de la fleur. Coquelicot, tu as été avant tout victime de toi-même. Tu n’avais pas les épines de la rose ni le port altier de sa beauté orgueilleuse. Tu étais simplement joli et vulnérable.
Alors…
Alors, tout en reprenant mon chemin, je laisse ma main s’écorcher sur les pierres sèches pour endurcir et fermer mon cœur, je la laisse s’égratigner aux épines des ronciers pour ne pas oublier celles de la vie, je creuse dans la terre un sillon avec mes ongles pour y enterrer mes rêves à jamais, j’offre mes larmes au vent, je mêle ma plainte à la sienne et je hurle avec lui : qui, mieux que lui, pourrait me comprendre ? Et qui, autre que lui, pourrait m’entendre ?