En cette fin d’après-midi de septembre, je ramasse les dernières figues. Au meilleur de la saison, gonflées de nectar, elles courbaient sous leur poids de leur saveur, comme une humble offrande de l’arbre. Il a, cette année encore, fourni une récolte généreuse et gourmande. Quel âge peut-il bien avoir d’ailleurs ? Je l’ignore, d‘autant que sa taille n’est pas en rapport avec ses années. Il n’est pas très grand. Il a poussé tout en largeur et ses branches courbes se sont obligeamment mises à portée de main pour faciliter la cueillette. Leur souplesse contraste avec une apparente fragilité. En fait, je le soupçonne de préférer réserver sa sève nourricière à la production de fruits plutôt qu’à sa croissance. C’est dire s’il s’agit là d’un arbre généreux.
Mais aujourd’hui, les derniers fruits n’ont plus cette saveur si particulière que leur confère le soleil de l’été. Il n’en reste que quelques-uns qui ont du mal à mûrir. Le vent frais qui souffle en rafales rappelle que l’heure est bientôt venue de se préparer à l’hiver. Son message est appuyé par les lourds nuages gris qu’il amène à travers un ciel délavé dépourvu de son éclat. C’est un combat inégal des éléments où l’automne, ambassadeur de l’hiver, s’installe peu à peu.
Je savoure les figues une par une, consciente qu’il n’y en aura plus jusqu’à l’année prochaine. Leur peau moins souple n’est plus craquelée sous l’excès de suc, leur chair n’est plus gorgée de sucre. Elles sont désormais flétries, plus fades. Elles n’emprisonnent plus le soleil. Qu’importe ! Je suis là, témoin privilégié de cet arbre qui m’invite à manger ce qu’il m’offre. Autour de moi, il n’y a aucun bruit si ce n’est le vent, mais peut-on le définir comme un bruit ? Bien au contraire, il ajoute à la solennité du moment, il me fait frissonner pour me rappeler qu’il est l’heure. L’heure de quoi ? En tournant le dos à cet arbre qui représente la vie, qui est la vie, je sais que je devrai mettre mes pas sur un autre chemin dont je ne connais rien. Une abeille frileuse arrive à la recherche de son nectar. Trop tard… Elle rentrera bredouille ou se contentera d’une figue aigre avant que les fourmis s’en emparent.
Je remercie le figuier pour sa générosité renouvelée, pour le plaisir qu’il me procure à apprécier ce qu’il offre, ce qu’il est. Sait-il combien je l’estime ? Sait-il qu’intérieurement, je le qualifie de « remarquable » et le porte en moi comme un étendard de vie ? Peut-il lire dans mes pensées ? Celles qu’il m’inspire sont autant de fruits aigres-doux qui m’amènent à m’interroger sur ma vie, sur la Vie et sur ce long chemin sans fin où seule la mort apportera un point final.
Je ressens soudain un grand vide en moi, un froid m’étreint dont j’ignore la cause. J’interroge le ciel pour comprendre, mais le soleil qui peine à se faufiler à travers les nuages ne m’est d’aucun secours. Un dernier regard au figuier : il n’a pourtant rien dit… Il est temps de partir…