Dépression

Que veux-tu que je te dise ?
Tu m’as posé des questions auxquelles je ne peux, je ne sais répondre.

Que veux-tu que je fasse ?
Tu m’as vampirisé et vidé entièrement de toute force physique.

Que veux-tu que je mange ?
Tu as créé en moi des nausées régulièrement insoutenables.

Que veux-tu que j’offre à mon esprit comme nourriture ?
Tu as pourri irrémédiablement et sans état d’âme tout ce qui m’entoure.

Que veux-tu que je vive ?
Tu as ôté tout intérêt à toute forme de vie, quelle qu’elle soit.

Que veux-tu que je regarde ?
Tu as occulté irrévocablement et définitivement mon avenir.

Que veux-tu que je lise ?
Tu as dénaturé le contenu de tous mes livres, ils n’ont plus aucun sens.

Que veux-tu que j’écoute ?
Tu as volé la liberté associée à la musique, ni l’une ni l’autre ne
résonnent plus en moi.

Que veux-tu que je sois ?
Tu as fait de moi un territoire ravagé par un perpétuel tsunami
d’angoisse.

Que veux-tu que j’espère ?
Tu as ouvert en moi-même un abysse insondable dans lequel je chute de
« l’intérieur ».

Que veux-tu que je respire ?
Tu m’enfouis dans un trou noir, supprimes tout espace de respiration.

Que veux-tu que j’exprime ?
Tu m’as isolé de mes amis en t’interposant comme une barrière
repoussante.

Que veux-tu de moi ? Qu’attends-tu de moi ?
J’ai compris : lâcher. Tout lâcher… C’est donc ce que tu veux ?

Mais c’est toi qui n’as rien compris…
Tu n’as définitivement rien compris, car j’aime et je suis aimé.
Et contre l’amour, tu ne peux rien, tu ne pourras jamais rien,
Tu seras toujours la grande perdante…

Face à face

De vous à moi il n’y a d’abord à capter qu’un fugace regard
Pourtant il coulera en vous tel un véritable nectar.

De vous à moi il n’y a ensuite que l’esquisse d’un furtif sourire
Mais il éblouira à jamais cet instant hors du temps à saisir.

De vous à moi il n’y a maintenant qu’un seul et unique pas
Pour être enfin tout entière engloutie dans vos bras.

De vous à moi il n’y a désormais qu’un infime geste à ébaucher,
Ma peau en frissonne par avance, je me sens flancher.

De vous à moi il n’y a à présent qu’une commune respiration
Elle se confond avec celle de l’océan, douce superposition.

De vous à moi il n’y a que nos lèvres, en attente de ce baiser
Qui enflamme nos êtres tremblants d’un désir aiguisé.

De vous à moi il n’y a que cette sourde et folle brûlure
Ce brasier qui rend dérisoire.

De vous à moi il n’y a que l’impatience de deux corps palpitants
Qui entament une danse sensuelle au rythme envoûtant.

De vous à moi, laissez-moi tendrement à votre coeur murmurer
Combien je vous aime, vous qui m’avez capturée.

De vous à moi, laissez-moi, sans tarder, vous accueillir
Abandonnez-vous à moi, sans plus réfléchir…

Renku : Trois voix

Quelle direction ?
Quel chemin est le plus sûr ?
Peur de me tromper…

Réfléchis quand même…
Tu n’as pas droit à l’erreur
Ne prends pas de risque.

Tu compliques tout
Te poses trop de questions
Tu dois lâcher prise

Mais alors que faire ?
Je voudrais que la vie soit
Simple comme un souffle.

Volonté, audace,
Tu n’as rien de tout cela,
Pas même de la force !

Mais avance donc !
L’action est déjà réponse.
Sois confiant en toi !

L’angoisse m’étouffe
Je regarde l’avenir
Avec inquiétude.

Tu raisonnes enfin !
Reste tranquille chez toi,
Ferme tes volets…

Ouvre donc tes yeux !
Veux-tu oser vivre un jour ?
Debout ! Tiens-toi droit !

J’ai compris… Je vois…
Tous les chemins sont la Vie,
Même les impasses.

Le bain

Dans mon grand bain de mousse chaud et parfumé,
Je me laisse aller totalement, comme à l’accoutumée.
Alanguie et nonchalante, les yeux fermés, de flânerie en rêverie,
Mes pensées espiègles me ramènent à mon songe favori :
Toi…

Dans la légèreté de la vapeur d’eau bleutée qui m’entoure,
De la salle d’eau, je ne distingue plus très bien les contours.
Je crois percevoir vaguement une présence masculine et familière
À qui mon corps émoustillé associe d’emblée de douces manières :
Toi…

Nul doute possible a priori sur tes charnelles intentions,
Du temps imparti, nous allons faire tous deux abstraction.
Tes mains habiles plongent à la recherche de mon intimité.
Ainsi, cet acte aurait donc été par quelqu’un prémédité :
Toi…

Dans l’eau tiède, nos corps désormais fébrilement réunis,
Glissent lentement et en souplesse dans une totale harmonie.
Je m’abandonne, délicieusement prise et doucement séquestrée,
Heureuse victime de cette exquise conspiration par qui perpétrée ?
Toi…

Brutalement, fin de mon rêve éveillé : sonnerie du téléphone …
Noyées, englouties, mes pensées coquines et polissonnes !
Sortie précipitée du bain, glissade sur le carrelage, fouille des poches,
Qui m’appelle ? Vague colère, vague de frustration. Enfin, je décroche :
Toi !!!

Le rêve recommence, mais au plus près de la réalité cette fois…

Se lâcher

Et vogue la galère !
Fais fi des règles de grammaire,
Des répétitions, des barbarismes !
Sors au plus tôt de cet étouffant conformisme !

Lâche-toi ouvertement dans ton écriture !
Adopte, pourquoi pas, la désinvolture…
Oublie d’ores et déjà les mots sophistiqués,
Débride immédiatement ta créativité embusquée !

Joue-toi clairement de la dictature des rimes,
Recherche tout là haut l’inspiration des cimes.
Use à profusion de mots absents du dictionnaire,
Adopte un esprit profondément contestataire !

Ose pour une fois, te défouler, crier, gueuler !
Écoute attentivement ton imagination t’appeler !
Laisse vivre enfin ! enfin… ta plume,
Laisse-la éclabousser tes textes de son écume !

Au petit matin

Dans la douceur de cette nuit qui s’étire,
Dans la fraîcheur de ce jour qui s’éveille,
Entre rêve et conscience,
Mes mains cherchent ton corps
Que le sommeil n’a pas encore quitté.

Dans la moiteur des draps froissés,
Dans la tiédeur de ta peau,
Entre tentation et émoi,
Mes mains caressent ton corps
Que le sommeil a délaissé.

Dans la chaleur de mes baisers,
Dans la fièvre de ton désir,
Mes mains affolent ton corps
Que tenaille la faim du plaisir.

Dans l’ardeur de notre envie,
Dans la brûlure de ton bas-ventre,
Mes mains entraînent ton corps
Vers l’ultime jouissance.

Etre

Le projecteur m’éblouit et le public m’impressionne
Mais tout d’un coup, voilà : autour de moi plus personne,
Je prends mon souffle et je m’élance,
Mes mots ressemblent à une danse,

J’improvise,
Je devise,

Je laisse tomber mon masque et mon sourire,
Je suis moi,
Rien que moi.
Mais qu’entends-je ? Des rires ?

Tant mieux…

Il part

Elle a le visage baigné de larmes, il a les larmes au bord du cœur.
Ils savent bien que leurs routes, un moment emmêlées à l’image de leurs mains,
Sont obligées de se délier et de s’éloigner.
On ne peut se soustraire aux décisions qu’impose la Vie.

Elle a le cœur baigné de larmes, il a les larmes au bord des yeux.
Ces deux êtres accrochés l’un à l’autre l’espace d’un printemps
Ont partagé des paroles non dites et des actes non faits
Avec tant de force qu’ils penseraient les avoir vécus.

Le jour se lève comme un signal ultime et convenu.
Il prend son visage entre ses mains et l’approche du sien
Pour que leurs bouches gardent en souvenir le goût de leurs larmes
Et que leurs souffles descendent en eux comme une dernière caresse.

Chacun repart de son côté, un peu plus seul, un peu plus riche de l’autre cependant.
Ainsi va la Vie, trois petits tours et puis s’en va.