Faiblesse et volonté

L’existence répand à tout vent des naufrages.
Son souffle administre bonheurs comme tourments.
Nul ne peut songer échapper à ses orages,
Ils laissent derrière eux un gouffre d’errements.

Tapi en silence, chacun se barricade :
Le malheur pétrifie, comment le surmonter ?
Même celui d’autrui pousse à la dérobade,
Par peur d’être souillé, de devoir l’affronter.

Aujourd’hui cependant, il se tient à ma porte,
Son visage à l’abri d’un boniment sournois.
Je défaille, meurtri d’attaques en cohorte,
Flèches de désarroi tirées de son carquois.

Dans son acharnement, il a jeté la force
D’une vague de fond, ce laminoir puissant.
Il me laisse exsangue de son baiser atroce,
Encore en vie pourtant, miracle étourdissant.

Sors de cette gangue ! crie mon âme en détresse.
Stupide gageure ! réfute ma raison.
Ce dilemme muet exhale sa caresse,
Onde vénéneuse au redoutable poison.

Mes amis m’arrachent de ma piètre posture,
M’offrent du miel goûteux, un rayon de douceur.
Ils ravivent ce feu dispersant la froidure,
Me poussent gentiment à chasser ma torpeur.

Je me redresse alors, droit dans ma plénitude,
Les yeux levés au ciel pour le prendre à témoin :
Ce cadeau altruiste demande gratitude,
Le transmettre à mon tour à ceux dans le besoin.

Quoi de plus généreux : relayer sa sagesse,
Dispenser sa chaleur à celui qui a froid…
Procurer courage, quand la douleur oppresse,
Recevoir et donner, ainsi je le conçois.

Fantasme amoureux

 

Sur le tableau muet son regard flâneur glisse…
Le voilà transcendé d’un sentiment complice :
Ce portrait féminin rehaussé de couleurs
Le bouleverse tant qu’il laisse aller ses pleurs…

De ses yeux cristallins, la lumière fervente
D’une âme amoureuse, de franchise émouvante.
Il écoute son cœur se fondre à l’unisson
Avec cette nymphe qui s’offre sans façon.

Il veut, en chevalier, lui panser ses blessures ;
Il donne l’audace, réconforte, rassure.
Sa seule exigence : s’unir à son destin
Pour rêver à eux deux, l’aube d’un pur lointain.

 

Joyeux anniversaire !

Appuyée sur ses enfants,
La vieille avance pas à pas
Sur le chemin de son anniversaire,
Le centième, lui a-t-on rappelé.

Elle sourit par habitude,
Caresse la tête d’un bébé,
Sa descendance, paraît-il,
Presque cent ans les séparent.

De sa démarche tremblotante,
Elle domine la pyramide familiale,
Poussée au sommet par ses enfants,
Au fil des printemps, des naissances.

Que donner en pâture à ses pensées ?
Les souvenirs sont douloureux,
Le présent s’émaille de regrets
Et le futur est avare de promesses.

Est-ce une larme à ses yeux
Ou un éclat de vie qui brille ?
La vieille ne veut pas mourir,
Elle a encore tant à apprendre !

Elle qui pensait tout savoir,
Tout compris de l’existence,
S’aperçoit que le chemin jamais ne finit
Et qu’il reste tellement à découvrir…

Alors elle s’extirpe de ses réflexions,
Se hisse sur ses jambes fluettes
Mais s’affaisse dans la poussière,
Son regard vitreux tourné vers le soleil.

Autour d’elle, tous reprennent :
« Joyeux anniversaire… »
Ils lèvent leur verre au ciel,
Inconscients de ce qui se trame.

Quand ils se retournent vers elle,
Ils trouvent à sa place quelques fleurs.
Surgies de nulle part, leur parfum
Se répand sur toute la famille réunie…

Privilégiée…

L’instant d’un passage printanier d’hirondelle,
La mémoire est une amie loyale et fidèle.
A l’automne de l’existence se tarit
Lorsque, de la lumière, l’ombre se nourrit.

Elle s’amuse à jouer la capricieuse,
S’emmure telle une geôle silencieuse
Sacrifie sur l’autel du temps nos souvenirs
En laissant ses dernières grappes se flétrir

Elle est sans état d’âme, saupoudrant de doutes
Ce qui paraissait ancré une fois pour toutes,
Ternit de son voile les moments partagés,
Sur d’autres s’obstine, tristement saccagés.

Elle se transforme en une sorte d’angoisse,
Mutilant le passé dans une ardeur tenace
Où des fragments erratiques éparpillés
Subsistent d’une vie écrite en pointillés.

Heureuse chante ma mémoire sans séquelle
Que notre amour aujourd’hui colore et modèle.
Puisse sa saveur survivre sans s’effacer
Tant que tu m’aimeras sans jamais te lasser…

Faux-semblant

Était-ce un rêve ?
S
a joue à peine effleurée ; elle en douterait presque.

Un songe ?
Ce souffle léger et ténu sur son visage ; elle le cherche encore.

Un mirage alors ?
Sa bouche caressée par un baiser furtif ; elle ressent ses lèvres.

Un espoir ?
Cette silhouette penchée au-dessus d’elle ; certitude d’une présence.

C’est un cauchemar.
Ses yeux s’ouvrent sur le noir de la nuit. Opacité totale.

Une hallucination.
Ses espoirs s’évanouissent, étouffés d’ombres sombres.

Un tourment.
Ce lit vide dans lequel il fait si froid ; des frissons la glacent.

Une torture.
L’absence de l’être aimé qui vrille son cœur…