Elle

Elle n’en peut plus, ces dernières années furent épuisantes pour elle. Elle mesure tout le combat qui fut le sien. Elle a relu le désespoir couché sur le papier, revu les abîmes dans lesquels il lui est souvent arrivé de vouloir sombrer, réentendu les gémissements et les hurlements qui lui arrachaient la gorge. Elle a perçu à nouveau la sécheresse de son cœur délaissé, éprouvé les terrifiants manques de son corps, elle a pleuré sur elle. Elle se tient la tête à deux mains, tout se mélange, se fourvoie dans les chemins de sa mémoire, se laisse envahir par la compassion pour cette femme qu’elle a été, pour cette enfant qu’elle fut jadis.

Elle pose un regard sur sa vie, embrasse d’un seul coup d’œil ce que fut son parcours, comme on peut observer un paysage dans sa globalité du haut d’un promontoire. Le point de départ de cette rivière qui coule désormais dans la vallée de sa vie fut cette aridité affective, cette sécheresse sans précédent qui ont failli lui coûter la vie, lui faire perdre la raison. D’ailleurs, elle l’a perdue en partie pour oser, désespérée comme elle l’était, accomplir l’impensable. Instinct de survie qui l’a poussée sur les chemins de la liberté, de la libération, de l’accomplissement d’elle-même ? Peut-être pas jusque-là, mais au moins a-t-elle pris sa destinée en main pour aller chercher le sang qui ne coulait plus dans ses veines, pour aller trouver le souffle qui manquait à ses poumons, la chaleur qui ne circulait plus en elle, pour échapper au froid de la mort qui l’engourdissait peu à peu. Entre la raison et l’intuition, elle a suivi cette dernière pour aller au gré des chemins qu’elle croisait, pour s’aventurer dans des territoires où elle est devenue proie et chasseuse. A instinct de survie ?

Il a fallu détruire pour reconstruire, souffrir et faire souffrir pour sortir la tête de l’eau. Il a fallu se battre, encore et encore, donner de sa vie pour pouvoir en gagner. Se peut-il qu’un jour jaillisse de ce tas de gravas une fleur sauvage ?