Enquête

À quel moment se sont produits les faits ?

– Je ne saurais pas vraiment situer le moment où je l’ai retrouvé en fleurs. Pourtant, j’étais bien décidée cette année à ne pas me laisser surprendre. Embusquée derrière ma fenêtre, ou assise sur les marches du jardin, les yeux étrécis comme ceux d’un chat qui traque sa proie, je l’ai observé longuement, patiemment.

Qu’avez-vous remarqué ?

– Un matin, alors que je reprenais ma surveillance, j’ai retrouvé les branches entièrement recouvertes de bouquets de couleurs partis à l’assaut de l’arbre. Comme par magie ! J’avais bien noté, la veille, de ci, de là, des débuts de fleurissement, mais tout semblait progresser si lentement, sans brusquerie.

Quelle explication pouvez-vous avancer ?

– D’après mon enquête, pendant la nuit, son complice, le vent d’autan, a répandu son souffle chaud. Activant la montée de sève, il a effeuillé les sépales pour libérer les fleurs, gonflé les derniers bourgeons pour les faire éclater. Le résultat ne s’est pas fait attendre : l’arbre est devenu une immense apothéose rose et blanche. Lancé comme un feu d’artifice odorant vers le ciel, il le semblait le défier pour déterminer qui, des deux, possédait les couleurs les plus lumineuses.

Vous n’aviez donc aucun « indic » fiable pour vous alerter ?

– Si, bien sûr ! Les oiseaux, camouflés dans les branches, m’envoyaient régulièrement des messages codés. Dès l’aube naissante, je les écoutais, fascinée par leurs trilles.

Vous avez ainsi échoué dans votre enquête pour comprendre comment le printemps nous surprend chaque année immanquablement…

– Vous vous trompez…

Quelle impertinence !

– Non… Pourquoi vouloir répondre à cette question ? Laissons-lui son caractère insaisissable et éphémère qui en fait sa beauté et sa saveur. Parce qu’il ne se produit qu’une fois par an, sa splendeur nous est précieuse.  Parce qu’il annonce le retour de la vie, il nous entraîne avec lui vers l’avant, nous fait sortir de l’ombre. Certes, sa lumière surprenante dérange parfois, nous en avions oublié son éclat, tout comme le prisonnier reclus au fond d’une grotte protège ses yeux du soleil après une longue captivité.

Mais il ajoute un an de plus à nos vies qui s’écourtent ainsi année après année !

– Je le concède, mais ce caractère inéluctable n’est qu’un passage de relai. En effet, peu de temps après la floraison complète de l’arbre, la brise s’est installée. Il tombait en flocons sur l’herbe vert tendre ce qui n’existait déjà plus : les pétales. Et, alors que j’aurais voulu retenir leur délicatesse immaculée, j’ai vu poindre avec émotion les premières feuilles. Encore un peu et de beaux fruits pleins se sont formés, progressant vers leur pleine maturité que rien ni personne ne pouvait ralentir et encore moins empêcher. Ainsi va la vie, quand on croit la saisir, elle file entre les doigts. Laissons-la venir à nous, acceptons-la. Nous en sommes les fruits, apprécions à notre tour de devenir cet arbre éphémère offert au rythme des saisons, juste le temps de porter des fruits à notre tour…