Dédale

Mémoire de dentelle, j’en ai perdu la trame.
Tes fils entrecroisés et tes mailles fines
Se sont déliés, fragilité cristalline.
Ils ne savent plus reconnaître leur programme.

À l’affût du moindre soupçon de souvenir,
Je griffe désespérément ce voile obscur ;
Il bride ma vue, de son épaisse texture.
Pas même un maigre vestige à retenir.

Mémoire de papier, où sont passés mes mots ?
Je pars à l’aveuglette dans un jeu de piste.
Vocabulaire kidnappé, il en subsiste
Des ombres qui ne savent pas dire mes maux.

Comment réussir à parler spontanément,
Si réfléchir à la formulation s’impose ?
Je joue sur les nuances, j’essaie, je compose,
Pour approcher ma pensée le plus justement.

Mémoire de sable, je remonte ta trace.
Derrière moi, ma vie s’écrit en pointillés.
Une histoire pêle-mêle, entortillée.
À quoi me raccrocher pour retrouver ma place ?

Autour de moi sourient des visages connus.
Mais pas reconnus. Fantômes, qui êtes-vous ?
Déconnectée…  Dans ma tête, coup de grisou.
J’erre dans un brouillard cotonneux et confus.

Mémoire de brume, mets un terme à ton jeu.
Prisonnière de ce manège implacable,
Ma résistance n’est pas inépuisable.
Mon équilibre est devenu le seul enjeu.

Je m’égare dans un labyrinthe livide,
Suis un chemin pour ensuite faire demi-tour.
Je tourne en rond et scrute les alentours.
Évidence : il ne reste plus que du vide.

Mémoire émotionnelle, toi fidèle amie …
Je ferme les yeux, à l’écoute de mon corps.
Il garde dans ses cellules tous les décors,
Gardiens de mes futurs souvenirs en semis.

Mais plus loin, deux ou trois petits tours sur moi-même
Ont suffi à éparpiller mes espérances.
Sur ce manège de la vie, que d’apparences…
Dois-je croire ou douter ? À chacun son dilemme.