Fantasme au masculin et au féminin


C’est un soir sans but, un soir insignifiant. L’ordinaire d’une journée qui s’achève. C’est un homme sans but, invisible parmi les passants qu’il côtoie sur ce trottoir ordinaire d’une ville morose.
Mains aux poches, cheveux offerts au vent, il a froid du gris de cette vie.
Clac, clac, clac… D’abord, il ne prête pas attention à ce bruit perçu derrière lui. Pourtant, il se répète, se rapproche même, surgi du brouhaha de la foule. Bruit reconnaissable et caractéristique des talons aiguille.
Son imagination s’enflamme… Il se figure ces louboutins qui le suivent. Une femme a jeté son dévolu sui lui. Son désir soudain aiguisé découvre des chevilles fines et nerveuses, un pied délicieusement cambré comme le corps d’une femme s’abandonnant à l’amour. Il fantasme sur les jambes aux mollets galbés à merveille. Les cuisses légèrement dévoilées par une jupe légère laissent entrevoir des atours auxquels il ne pourra que succomber. La taille prise dans un corset de soie rehausse sa poitrine haletante et laissent s’échapper des épaules à l’arrondi parfait. Il est envoûté, sa raison s’égare, avant même d’avoir plaidé sa cause. Il ferme les yeux, saisi d’un frisson de désir qui l’étonne par sa force et sa brusquerie.
Son cœur bat maintenant au rythme de ce martèlement persistant. Cette attente insoutenable devrait l’inciter à prendre l’évidente décision : se retourner vers cette femme et découvrir son visage qui ne peut qu’être parfait, à la hauteur de son rêve. Il ralentit son pas…
C’est un soir sans but, un soir insignifiant. L’ordinaire d’une journée qui s’achève. C’est une femme sans but, invisible parmi les passants qu’elle côtoie sur ce trottoir ordinaire d’une ville morose.
Les mains autour du col de sa veste, tête échevelée, elle a peur du vide de cette vie.
Clac, clac, clac… Ses talons aiguille résonnent et chantent allègrement. Elle n’entend plus qu’eux, d’ailleurs, malgré le brouhaha de la foule. Impossible de passer inaperçue.
D’ailleurs, cet homme qui avance devant elle a remarqué ce bruit. Indubitablement. Un mouvement en arrière imperceptible de sa tête en atteste. Elle accorde plus d’attention à cet inconnu. À bien le considérer, trouve plutôt un certain charme à cette silhouette. Sa démarche comme hésitante et un brin nonchalante ne la laisse pas indifférente. Il doit faire bon se blottir dans ces bras-là, dont la musculature tire sur le tissu de la chemise. La nuque entrevue appelle ses baisers. Sa haute stature lui procure immédiatement un sentiment de protection. Un rapide coup d’œil sur ses hanches et ses fesses rebondies suffit à la mettre en émoi tandis qu’elle se projette, nouant ses jambes autour des siennes. Soudain subjuguée, elle s’avoue captive avant même d’avoir été séduite.
Son cœur palpite maintenant au rythme de la démarche de cet homme. Il a ralenti légèrement, il va s’arrêter… Son cœur bat à tout rompre… Mais il reprend son allure. Soulagement ? Déception ? Elle ne saurait dire.