Le miroir

J’ai entendu nettement son appel muet.
Impossible de l’ignorer, même aussi fluet.
Il s’est manifesté de manière si intense
Que je n’ai pu offrir la moindre résistance.

Je me suis arrêtée.

Dans un recoin du musée, ce portrait oublié
Dévoilait une jeune femme au maintien altier.
À première vue, ce tableau ne m’évoquait rien.
Mais son regard a d’emblée croisé le mien.

Je me suis approchée.

Dans sa robe à corset stricte de couleur sombre
Elle était entourée d’une profonde pénombre.
Seule une douce lumière descendait sur son visage
Créant avec l’austérité du tableau un décalage.

Je me sentais fascinée.

J’aurais pu apprécier le jeu subtil des couleurs,
La perfection de l’ensemble, gage de valeur.
Mais au-delà de ce visage, raffiné et gracieux,
J’étais happée par son charme mystérieux.

Je ne pouvais que le lire.

Il présentait la beauté conférée par la jeunesse.
Ses traits étaient tout en diaphane délicatesse,
Mis en valeur par ses cheveux relevés en chignon.
Mais une gravité exagérée trahissait résignation.

Je devais aller à ses devants.

Ses  yeux m’ont capturée, livré leur message.
J’ai écouté l’histoire de ce sournois engrenage.
Tissé par une vie de soumission, ce piège fatal
Étouffait  sa vie, faux-semblant sentimental.

J’étais hypnotisée.

Elle semblait transportée dans le lointain.
Osait-elle rêver à un avenir, même incertain ?
Subissait-elle au contraire les assauts du passé
Jamais silencieux mais trop souvent ressassé ?

Je voulais en savoir plus.

Au coin des yeux mélancoliques, d’infimes rides
Laissaient entrevoir une vie affective aride.
La courbe de ses lèvres n’était que tristesse,
Le pinceau n’avait pu l’effacer de sa caresse.

Je comprenais.

Je m’étais identifiée à cette femme inconnue.
Miroir de mon âme, je m’y étais reconnue
Dans les sentiments exprimés par l’artiste.
J’avais plongé dans ce tableau trop réaliste.

Je m’interrogeai.

Des siècles me séparaient d’elle, de son histoire.
Mais elle avait pu enfin épancher son désespoir.
Longuement, nos confidences silencieuses
Éveillèrent en moi des émotions merveilleuses.

Je la quittai.

Presque à regret, je me suis séparée d’elle.
Elle vit toujours en moi, image intemporelle.
Parfois, j’évoque ce serment échangé exaltant,
Celui de vivre en femme libre chaque instant.