Montagne

 

Je m’élance aux devants de cette montagne. Je sais que c’est elle, celle je recherche depuis si longtemps. J’ai oublié son nom, peu importe. D’ailleurs, a-t-elle un nom ? Elle est faite pour moi, c’est tout ce que je sais. 

Je veux me perdre dans les replis de terrain de ce monde minéral et deviner mon chemin en laissant parler mon intuition, sentir le grain des aspérités écorcher mes doigts, entendre crisser mes ongles sur la dureté de sa roche, me laisser surprendre par le tranchant de ses arêtes. 

Je veux m’abandonner à la chaleur rouge et or de ses flammes de pierre, éprouver le froid de l’ombre se répercuter jusque dans mes os, lécher la glace prisonnière de la nuit pour étancher ma soif. 

Je veux appuyer ma joue contre sa paroi pour sentir battre son cœur, plaquer mon corps contre elle et ne pas chuter en arrière, retenir mon souffle dans le franchissement des passages délicats, sentir la force et l’attraction du vide parcourir mon échine jusqu’à suer de peur. 

Je veux regarder entre mes pieds filer l’abîme insondable, imaginer l’espace d’un instant l’issue fatale si je venais à ouvrir ma main. Je veux le regarder, me pencher au-dessus de lui pour me galvaniser et m’enivrer de cette certitude que je vaincrai. 

Je veux chevaucher ses arêtes neigeuses, toucher le ciel de mes yeux et me détacher de tout. Juste mes pieds posés sur le vide blanc. Je veux longer ses corniches sculptées par le vent et tracer en pointillés le chemin vers le sommet. 

Je veux me hisser sur ce sommet, dans un dernier élan, un dernier souffle. Et puis, encore hantée par toutes les ombres et les froidures de la face gravie, me redresser, incertaine, hésitante. Victoire balbutiante d’abord, mais qui explose ensuite en moi.  

Je t’ai défiée, toi, Montagne. Aujourd’hui, tu as bien voulu accepter ma présence. J’en suis consciente. Ce n’était pas un jeu, mais un face-à-face aléatoire dont l’issue est à chaque fois remise en jeu.  

En haut, l’ivresse d’avoir réussi se mêle à la sérénité, à une totale plénitude. Elles rivalisent avec la beauté froide et sauvage du paysage à perte de vue qui s’est dévoilé. La solitude du lieu et la solennité du moment m’étreignent. L’émotion. J’éprouve soudain le sentiment diffus d’une conscience aigüe de la vie, de son expression et de son sens si fugace. La certitude de faire partie d’un tout, d’une force invisible a priori mais qui montre son visage à qui veut savoir…  

Le vent m’assaille, il est temps de redescendre. La magie disparaît…