Une présence

J’habite ici depuis très longtemps. Ne me demandez pas depuis quand : quelle importance ? peut-être d’ailleurs ai-je toujours vécu là. Je suis le souffle qui fait frémir le rideau de la cheminée, je suis le bois de l’escalier qui se manifeste sous vos pas hésitants, je suis le parfum indéfinissable et quelque peu énigmatique qui s’empare de vous sitôt franchi le seuil de cet endroit.
Car vous m’avez ressenti, n’est-ce pas ?
Vous ne me voyez pas, c’est normal, j’ai fini par me fondre dans le décor, quand bien même fût-il de Noël.
Je cours et je vole de pièce en pièce, insaisissable mouvement qui vous oblige à vous retourner pour vous arrêter l’espace de quelques secondes et percevoir l’invisible.
Je caracole et plane au-dessus de tout objet, infatigable ondulation qui dépose son empreinte impalpable et incertaine.
Je m’attarde à l’orée de votre cœur pour sonder et apprécier les sentiments que vous nourrissez à mon égard.
Je parcours les méandres de votre âme : j’y figure en bonne place et cela me rassure.
Car je veux continuer à vivre dans cette maison, susciter et raviver les mêmes émotions qu’autrefois. Aujourd’hui, Noël s’installe, événement privilégié qui n’usurpera pas ma présence pour autant. Je vais donc me l’approprier, l’habiller de ma couleur et de la fragrance qui n’appartient qu’à ce lieu, lui insuffler la douce impulsion qui me ressemblera.
Le jour de Noël, chaque cadeau reçu ou offert sera enveloppé de mon amour, telle une aura qui conférera son caractère unique et donc précieux. Vous le ressentirez au plus profond de vous-mêmes.
Chaque effluve dispensée par le sapin vous renverra vers ces forêts dans lesquelles j’aimais tant me perdre, si sensible à l’émanation de ces forces mystérieuses et régénératrices, qu’une part de moi-même en est sûrement restée captive.
Chaque place autour de la table vous ramènera veux ceux qui ne viendront plus jamais s’y asseoir. Vous restreindrez le cercle mais vous ne pourrez pas vaincre ce vide car il est intemporel et rien ne saurait le combler.
Chaque guirlande brillera d’une pointe de nostalgie, vous la respirerez, vous vous en laisserez imprégner.
Je sais encore que c’est moi qui recueillerai vos larmes et vos joies, vos espoirs comme vos désillusions, éternel confident, à jamais privé de parole mais non de sensibilité. Pourtant… pourtant, je sais aussi que lorsque vous évoquerez ce que je suis, ce que j’étais, c’est moi qui vibrerai si fort que vos conversations s’interrompront ; vous penserez entendre, étonnés, la plainte du vent dans la cheminée. Son rideau s’animera alors d’un souffle, et vous saurez intimement qu’il s’agit du mien venu vous envelopper de la paix de Noël.
Car je suis… je suis l’esprit de la maison.