Recherche expérimentale

Qui sème le vent récoltera la tempête.
Ce proverbe résonne comme une sornette…
En opposition avec cette affirmation,
Je décide de prouver la contradiction.

Mon laboratoire aussitôt improvisé
Cherche un cobaye innocent à utiliser.
Ce sera donc toi, parfaitement inconscient
De ce qui s’ourdit dans ton repos insouciant.

Claquent mes talons pour te sortir de ton rêve !
L’expérience commence, entre nous plus de trêve…
Volète ma jupe grâce au mistral complice !
Le galbe de mes jambes te met au supplice…

Mon regard en coin dévoile mes intentions,
Tandis qu’en toi se devine une agitation.
Je pose sur ta nuque mon souffle léger
Dans tes yeux, je lis que tu m’as envisagée…

Mais je n’ai pas terminé avec mon essai.
À ta virilité maintenant j’ai accès
Elle s’exalte à ma chaude respiration,
Balayant d’un seul coup toute modération.

Une véritable tempête se déchaîne
Dans une danse des corps folle et aérienne.
Conclusion de mon test : force m’est d’avouer
Avoir éprouvé grand plaisir à échouer.

La Guibaudié

Elle est cachée dans le creux d’un terrain,
Offerte malgré tout au vent marin.
Un écrin de bois et de prés l’enserre,
Ballotée par les vagues des blés verts.

Maison construite loin de tout village,
Son histoire se confond avec son âge.
Autant refuge que havre de paix,
Elle offre trêve dans ses murs épais.

Écoutez son silence assourdissant :
Il invite au repos étourdissant.
Celui qui régénère pour réparer
Même ceux qui se voient désemparés.

Elle est survenue dans mon existence,
Procurant à mon cœur sa subsistance.
Toujours présent, ton amour m’attendait,
Saison après saison, s’échafaudait.

Je l’ai quittée ce matin de juillet,
Sans regarder, comme si je fuyais.
Mais je t’ai emmené au fond de moi,
Pour vivre enfin au grand jour nos émois.

Harmonie

Des sureaux en fleurs émanait une odeur tellement entêtante qu’il aurait pu la voir. Les arabesques musicales des oiseaux étaient si stridentes qu’il aurait voulu les dessiner et leur donner corps. Le vent lui murmurait des histoires si échevelées qu’il aurait su dénicher les mots exacts pour les mettre en phrases et les raconter à son tour.

La peur de perdre cet instant si particulier l’assaille. Il redoute d’oublier à quoi ressemble toute cette vie qui jaillit autour de lui, vivifiante et contagieuse.

Il s’empare promptement d’un chevalet et de ses peintures. Sa main se promène au-dessus de sa collection de pinceaux, les effleure, en apprécie la dureté ou la souplesse. Il en prend un spontanément, sûr de son choix.

Un instant, la surface vide de la toile blanche lui donne le vertige. Il y laisse errer son regard, comme pour faire surgir déjà ce qu’il ambitionne de recréer.

Mais le temps presse, l’instant trop fragile : impensable de laisser passer cette lumière volatile, ce souffle si doux, ces couleurs évanescentes.

Alors il pose sur la toile une profusion d’émotions, celles-là même qu’il a ressenties et qu’il libère sans attendre, avec audace. Le vent se laisse capturer par le panache de son pinceau, donne vie aux arbres qui ondulent déjà et s’épanouissent de mille verts, du plus profond au plus léger. Il éclaire le paysage d’une touche aérienne, lui confère cette luminosité impalpable mais si prégnante. Les oiseaux lui confient leur partition pour qu’il en traduise ses tonalités colorées. Le réalisme devient saisissant. Un foisonnement de sensations allant crescendo. Elles donnent envie de se courber par-dessus son épaule pour respirer ce décor, l’écouter et se perdre dans ses chemins creux.

Ce sont les rainettes à la nuit tombante qui le tirent de son œuvre lumineuse. La pénombre fait ressortir maintenant ce tableau rayonnant et éclatant dont émane une sérénité inégalée.

Il signe sa toile d’un bouquet champêtre, pose son pinceau, s’allonge sous les étoiles. Sa respiration se calme… Il se sent en harmonie avec l’environnement. Totalement absorbé par son rêve éveillé, il aperçoit à peine la lune diaphane se pencher avec curiosité sur sa peinture. Elle y laisse son empreinte, mais si discrète qu’au matin, il s’interrogera sur l’origine de ce léger coup de pinceau passé pourtant inaperçu.

Musicalement

Cette musique l’envoûte. Alors…
Ses pensées s’échappent vers lui…
Son corps oscille doucement.
Elle tourne et virevolte.
Ses arabesques dansent son amour,
Sa souplesse chante son désir.
Elle ondule sur la partition,
Sans bien trop savoir si elle rêve.
Sur les notes délicates, tressaille,
Le cœur en dentelle empli d’émotion,
Les yeux mi-clos, elle se sent belle.
Valse lente des sentiments épurés
Qui la berce et l’entoure comme deux bras…
Soudain, ses mouvements gracieux se figent :
Il est là, un sourire éclaire ses lèvres.

Ce soir

Seule dans la nuit.
Je ne veux personne avec moi.

Silence autour de moi.
Silence en moi.

Je lui parle.
C’est à mon tour de lui raconter.
Tout ce que je n’ai jamais su dire.
Tout ce que je n’ai jamais pu confier.
Les mots se libèrent et suivent leur chemin.
Même si ma bouche reste muette.
Écoute, mon Père… Écoute-moi…

Silence autour de moi.
Silence en moi.

Voilà. Parole libératrice.
Rencontre à l’improviste.
Parce que cette nuit était celle-là.
Celle que j’attendais sans le savoir.
Pour lui dire. Enfin…
L’arbre qui était le sien vit toujours.
Il continue à me donner de beaux fruits.
J’honore autant ses racines que sa fière couronne.
Il me reste encore un ultime point à éclaircir…
Mon Père… Quelle image as-tu de moi ?
Je doute tant dans ma vie.

Silence autour de moi.
Silence en moi.

La réponse vient d’elle-même.
Elle était en moi depuis toujours.
Je suis rassurée…

A l’aventure

Je voudrais pouvoir écrire un texte sans faire appel à mon vocabulaire usuel. Mon sentiment actuel est d’avoir toujours recours aux mêmes termes. Certes, ils correspondent à ma sensibilité, à ce que je suis, mais j’arrive à saturation, voire à l’écœurement pour en avoir usé à outrance. Je m’appauvris.

Le dictionnaire pourrait-il m’aider à changer de trajectoire, à me renouveler ? Ah le traître ! : à sa lecture, tout me semble devenir insipide et fade dans cet univers que j’affectionne pourtant. J’ébauche des tractations avec lui : il me concède un mot, un seul, pour me servir de planche d’appel, de fil conducteur. En contrepartie, je lui livre un haïku. Non ! Plus élaboré : un poème. Mieux : en alexandrins. Ce serait un échange de bons procédés. Mes exigences sont si infimes… Car impossible de nier la vérité : je suis en mal d’inspiration, éconduite par la fibre créatrice, abandonnée par mon imagination.

Je fais les cent pas entre le A et le Z, arpente les pages, rôde d’une colonne à une autre, aux abois, aux aguets. Je tourne en rond, me perds dans les synonymes : tout se ressemble tant ! Vite, quitter cet endroit, grimper en haut du L pour faire le point.

Nageant à contre-courant, je remonte vers le début de l’alphabet. Le ventre du D m’oblige à passer de côté. Pourquoi ne se pousse-t-il pas ? Ne voit-il pas que je suis en pleine recherche ? De rage, j’attrape le point du J et le lance sur sa bedaine. Manque de chance, mon projectile se plante en plein milieu, le D se transforme en B.

Il me semble sentir une hostilité grandissante à mon égard. Ce dictionnaire m’oppose une farouche résistance et ne me livrera pas ses secrets. L’affaire est entendue. Organisons la défense… Faisons fi des lettres ! J’en appelle aux chiffres, ils sauront bien me venir en aide.

Je commence à compter : 1 – 2 – 3 – 4… Mais devant mes soldats de fortune, le dictionnaire envoie son armée de chiffres… écrits en lettres. La lutte devient inégale. D’autant qu’ils sont appuyés par les chiffres romains qui quadrillent tout le secteur.

Il faut se replier, réfléchir à une autre stratégie. Je pose mon crayon dans la lettre U, m’allonge dans l’alcôve du C. Mes pieds que je laisse pendre lui dessinent une cédille. Je me balance ainsi, doucement… Dans ce labyrinthe inextricable, paradoxalement, lâcher prise ne serait-il pas la meilleure façon de lutter ?

Alanguie dans ma lettre-balancelle, je domine tout l’alphabet. Il s’écoule de hampes en jambages, rebondit sur certaines consonnes rugueuses et s’éclaire des couleurs des voyelles. Un léger frisson dans l’air, infime, tourne les pages aléatoirement. Me voici au mot Miroir dans lequel se reflète le ciel. Un peu plus loin ou peut-être un peu plus tôt, je ne sais plus vraiment, c’est le mot Rêver qui a eu raison de ma vigilance.

Finalement, peu importe si les mots ne viennent pas à moi puisque je suis encore capable de m’émerveiller avec émotion.

Faux semblant

Était-ce un rêve ?
Sa joue à peine effleurée qu’elle en douterait.

Peut-être un songe ?
Ce souffle léger et ténu sur son visage.

Ou même un mirage ?
Sa bouche caressée par un baiser furtif.

Pourquoi pas un espoir ?
Cette silhouette penchée au-dessus d’elle.

C’est un cauchemar.
Ses yeux s’ouvrent sur le noir de la nuit.

Une hallucination imparable.
Les ombres de ses espoirs s’évanouissent.

Un vrai tourment.
Ce lit vide dans lequel elle a très froid.

Une sourde torture.
L’absence de l’être aimé qui vrille son cœur.

L’autan

À la faveur du printemps, il a déboulé.
Il était pourtant facile de deviner :
Des signes avant-coureurs s’étaient installés.
Il suffisait d’écouter et d’examiner.

Ces paysages aux contours beaucoup trop nets,
Le ciel saphir intense, quasi métallique…
En fin de journée lorsque chante la rainette,
Un infime souffle brise l’instant idyllique.

Une feuille a frémi, on pourrait en douter.
La texture de l’air semble s’être alourdie.
Un frisson imperceptible mais entêté,
L’autan est quasiment là, encore assourdi.

Dans la nuit, il s’impose déjà, impressionne.
Le jour se laisse surprendre par sa violence.
Il s’insinue partout, s’amplifie, tourbillonne
Et emmène tout dans sa folle véhémence.

Il malmène ce qui se trouve à sa portée.
Rien ne lui échappe : il courbe les arbres,
Éparpille les fleurs, et brise sans compter
Ce qui résiste, et contre lui se cabre.

Il s’infiltre jusque dans le cœur de tout être,
Qu’il soit végétal, animal comme humain.
Il les cerne, les tourmente, devient leur maître.
Chaotique, le vent fou poursuit son chemin.

Ses turbulences, aléatoires, surprennent.
Floraison échevelée et précipitée,
Hommes, bêtes irritables et peu amènes,
Air électrique surchargé d’aridité.

Mais cela suffit de médire sur l’autan.
J’aime me laisser emporter comme un fétu,
L’écouter siffler sa rage, impénitent.
C’est l’enfant du pays, volatile et têtu.