Désuet proverbe

En avril, ne te découvre pas d’un fil…
Quel insensé a inventé ce proverbe ?
Moi, j’ai envie que tu me dénudes.

J’ai envie… Te sentir t’aventurer
Sur ce territoire réservé à tes sens.
Il ne demande qu’à être conquis.

Je veux épancher ma soif à ta bouche,
Et la laisser étouffer mes gémissements,
Sentir ta langue lécher lentement mes lèvres.

Déchire mes vêtements au plus vite :
Mon corps est en feu, il se consume,
Et de faiblesse, mes jambes se dérobent.

J’arrache les pages de mon calendrier,
Avril n’est déjà plus qu’un souvenir.
Voici mai : fais de moi ce qu’il te plaît.

Enquête

À quel moment se sont produits les faits ?

– Je ne saurais pas vraiment situer le moment où je l’ai retrouvé en fleurs. Pourtant, j’étais bien décidée cette année à ne pas me laisser surprendre. Embusquée derrière ma fenêtre, ou assise sur les marches du jardin, les yeux étrécis comme ceux d’un chat qui traque sa proie, je l’ai observé longuement, patiemment.

Qu’avez-vous remarqué ?

– Un matin, alors que je reprenais ma surveillance, j’ai retrouvé les branches entièrement recouvertes de bouquets de couleurs partis à l’assaut de l’arbre. Comme par magie ! J’avais bien noté, la veille, de ci, de là, des débuts de fleurissement, mais tout semblait progresser si lentement, sans brusquerie.

Quelle explication pouvez-vous avancer ?

– D’après mon enquête, pendant la nuit, son complice, le vent d’autan, a répandu son souffle chaud. Activant la montée de sève, il a effeuillé les sépales pour libérer les fleurs, gonflé les derniers bourgeons pour les faire éclater. Le résultat ne s’est pas fait attendre : l’arbre est devenu une immense apothéose rose et blanche. Lancé comme un feu d’artifice odorant vers le ciel, il le semblait le défier pour déterminer qui, des deux, possédait les couleurs les plus lumineuses.

Vous n’aviez donc aucun « indic » fiable pour vous alerter ?

– Si, bien sûr ! Les oiseaux, camouflés dans les branches, m’envoyaient régulièrement des messages codés. Dès l’aube naissante, je les écoutais, fascinée par leurs trilles.

Vous avez ainsi échoué dans votre enquête pour comprendre comment le printemps nous surprend chaque année immanquablement…

– Vous vous trompez…

Quelle impertinence !

– Non… Pourquoi vouloir répondre à cette question ? Laissons-lui son caractère insaisissable et éphémère qui en fait sa beauté et sa saveur. Parce qu’il ne se produit qu’une fois par an, sa splendeur nous est précieuse.  Parce qu’il annonce le retour de la vie, il nous entraîne avec lui vers l’avant, nous fait sortir de l’ombre. Certes, sa lumière surprenante dérange parfois, nous en avions oublié son éclat, tout comme le prisonnier reclus au fond d’une grotte protège ses yeux du soleil après une longue captivité.

Mais il ajoute un an de plus à nos vies qui s’écourtent ainsi année après année !

– Je le concède, mais ce caractère inéluctable n’est qu’un passage de relai. En effet, peu de temps après la floraison complète de l’arbre, la brise s’est installée. Il tombait en flocons sur l’herbe vert tendre ce qui n’existait déjà plus : les pétales. Et, alors que j’aurais voulu retenir leur délicatesse immaculée, j’ai vu poindre avec émotion les premières feuilles. Encore un peu et de beaux fruits pleins se sont formés, progressant vers leur pleine maturité que rien ni personne ne pouvait ralentir et encore moins empêcher. Ainsi va la vie, quand on croit la saisir, elle file entre les doigts. Laissons-la venir à nous, acceptons-la. Nous en sommes les fruits, apprécions à notre tour de devenir cet arbre éphémère offert au rythme des saisons, juste le temps de porter des fruits à notre tour…

Ascenseur

Aujourd’hui, c’est l’ascenseur qui m’a emportée.
Pourtant, mon habitation en est dépourvue.
À chaque palier, j’ai vu partir en fumée
L’une après l’autre, toutes les marches gravies.

Le temps d’une respiration fut suffisant
Pour laminer ma confiance en moi, me noyer.
Sombrer dans les abîmes, errer de douleur,
Voir poindre de nouveau les souffrances endurées.

Leur cruauté me torture une fois de plus.
Je suis éprouvée, vulnérable, mise à terre.
Pourtant, ce passage subi mais non voulu
M’est nécessaire pour comprendre où je vais.

Savoir pour pouvoir…

Moi, le greffier

Concours Jules Laforgue – Aureilhan – 2017

Voilà trois jours que je la mate… Elle est là…
Repérée au deuxième étage, ma Lila.
C’est son petit nom. Il tourne en rond dans ma tête.
Comme elle d’ailleurs. Dans mon crâne, la tempête.

Elle s’est installée dans le quartier récemment.
Impossible d’échapper au recensement
Qu’avaient entrepris mes loubards deux mois avant :
Le « Kid » évincé, je suis le chef maintenant.

À ce titre, que personne n’approche d’elle !
Je le dégomme et le transforme en mortadelle !
Elle m’attend, c’est sûr, sera bientôt pour moi.
Je ne cèderai jamais ce joli minois.

Sa souplesse féline pleine d’assurance
À coup sûr ne rencontre aucune concurrence.
Croiser ses yeux turquoise me fait chavirer.
Faut pas la laisser partir, je vais carburer !

J’ai passé du temps à soigner mon apparence,
Lissé ma moustache, coupé les poils trop denses.
Dans le rétro de la bagnole désossée,
Je parie sur un profil : le moins cabossé.

Qui prétend que je frime ? Cassez-vous, les mecs !
Pauvres charlots, vous ne valez pas un kopeck !
Surtout, perdez pas de vue, je vous le conseille :
C’est moi Kéké, dit le Tatoué de l’Oreille…

Nonchalamment posté sur l’escalier,
Je plante là pour l’alpaguer, sans rouscailler.
Elle sort ! Je voulais dire quoi ? J’improvise…
Salut minette, ô toi, ma belle promise…

Pour le moment, son regard reste inexpressif.
Je balance, d’un ton plutôt persuasif :
Ça te brancherait, ce soir, un restau sushi
Là, dans le local à poubelles, sans chichi ?

Mais voilà, je me prends une énorme châtaigne
Moi, le matador de comptoir, une vraie teigne.
Elle me regarde avec hauteur et dédain,
Affublée d’un jeunot de l’année, un crétin !

Il se dandine sur ses griffes prédatrices,
Sa pelisse sans couture ni cicatrice.
Il me nargue d’une étincelante denture…
Moi, le Greffier, humilié par cet’ miniature !

Cette année encore

Inestimable récompense que le printemps
Pour tous ceux qui auront pu traverser l’hiver.
Premières brises tièdes poussées par l’autan,
Parfums chauds épanouissant les primevères.

Offerte avec délice aux rayons du soleil,
Elle lui confie le doux réveil de son corps.
S’étire comme pour sortir de ce sommeil
Qui depuis de longs mois, imposait le décor.

Elle n’était pas repliée sur elle-même,
Mais s’était laissé engourdir par le grand froid.
Aujourd’hui, ses yeux devenus des diadèmes
Glissent sur sa peau que la lumière poudroie.

La vie est là, ne demandant qu’à s’exprimer,
Sans autre ambition que d’éclore de nouveau.
Une force invisible et vive à imprimer,
Rouge et ardente comme la fleur de pavot.

Elle en est là, perdue dans ses divagations,
Lorsque, derrière ses yeux mi-clos, se profile
Une silhouette suscitant l’attention.
Jusqu’à son esprit, la tentation se faufile.

De sa léthargie bondit cette chasseresse.
Dans son champ de vision, elle le reconnaît.
Sens frémissants, elle l’approche avec souplesse
Tandis qu’il déguste un verre de chardonnay.

La malice guide sa main pour se saisir
Du vin dont elle s’enivre avec volupté.
Sur sa gorge s’égare une goutte élixir ;
Il s’empresse de lécher sa peau veloutée.

Le buste renversé en arrière libère
Sa robe évanescente, la dévoilant, nue.
Elle s’abreuve encore un peu, air de mystère…
Le breuvage s’écoule entre ses seins menus.

D’un sourire entendu, félin, elle ramène
Ses bras frêles autour des épaules gracieuses.
Lui, sent s’intensifier une envie inhumaine
De se fourvoyer sur ses courbes délicieuses.

Tête inclinée, nuque fragile révélée,
Le font sortir de sa réserve contenue.
Ils se dégustent… La vague va déferler…
Cri rauque de plaisir, sans plus de retenue.

Quelle heure est-il ?

5 05

J’attends l’arrivée du sommeil
Pour embarquer vers des rêves. Colorés.
Je peux bien m’autoriser cet espoir…

Mon réveil annonce 00.25
Chiffres au format numérique
Qui se moquent bien du temps.

Je ne peux en détacher mes yeux,
Comme hypnotisée par leur couleur
Et leurs formes à angle droit.

À les fixer ainsi, ils s’animent.
Je distingue une femme et un homme.
Allongés l’un à côté de l’autre.

Jambes à moitié repliées,
Ils se tournent le dos.
Leur amour s’est éteint.

Ils ignorent cette vérité,
Mais ils s’ignorent l’un l’autre.
Demain, leurs yeux s’ouvriront.

Le sommeil finit par m’emporter.
J’embarque vers des rêves. Quelconques.
Catalogue de choix restreint, pas de chance.

Autant me réveiller, j’en ai assez vu.
À moi d’ouvrir les yeux.
Réflexe : regarder l’heure.

Mon réveil annonce 5.05
Chiffres au format numérique
Qui se moquent bien de moi.

Car je lis et déchiffre : S0S

Dédale

Mémoire de dentelle, j’en ai perdu la trame.
Tes fils entrecroisés et tes mailles fines
Se sont déliés, fragilité cristalline.
Ils ne savent plus reconnaître leur programme.

À l’affût du moindre soupçon de souvenir,
Je griffe désespérément ce voile obscur ;
Il bride ma vue, de son épaisse texture.
Pas même un maigre vestige à retenir.

Mémoire de papier, où sont passés mes mots ?
Je pars à l’aveuglette dans un jeu de piste.
Vocabulaire kidnappé, il en subsiste
Des ombres qui ne savent pas dire mes maux.

Comment réussir à parler spontanément,
Si réfléchir à la formulation s’impose ?
Je joue sur les nuances, j’essaie, je compose,
Pour approcher ma pensée le plus justement.

Mémoire de sable, je remonte ta trace.
Derrière moi, ma vie s’écrit en pointillés.
Une histoire pêle-mêle, entortillée.
À quoi me raccrocher pour retrouver ma place ?

Autour de moi sourient des visages connus.
Mais pas reconnus. Fantômes, qui êtes-vous ?
Déconnectée…  Dans ma tête, coup de grisou.
J’erre dans un brouillard cotonneux et confus.

Mémoire de brume, mets un terme à ton jeu.
Prisonnière de ce manège implacable,
Ma résistance n’est pas inépuisable.
Mon équilibre est devenu le seul enjeu.

Je m’égare dans un labyrinthe livide,
Suis un chemin pour ensuite faire demi-tour.
Je tourne en rond et scrute les alentours.
Évidence : il ne reste plus que du vide.

Mémoire émotionnelle, toi fidèle amie …
Je ferme les yeux, à l’écoute de mon corps.
Il garde dans ses cellules tous les décors,
Gardiens de mes futurs souvenirs en semis.

Mais plus loin, deux ou trois petits tours sur moi-même
Ont suffi à éparpiller mes espérances.
Sur ce manège de la vie, que d’apparences…
Dois-je croire ou douter ? À chacun son dilemme.

Un autre monde

La pluie tombe dru aujourd’hui et modifie la vision de mon environnement : tout est différent du paysage familier que connaît ma mémoire.

Tant il n’en finit plus de déverser ses eaux, que le ciel semble ainsi descendu à la rencontre du lac.  Tous les camaïeux de gris s’entremêlent et s’amusent à mélanger les éléments du paysage entre eux. À quel endroit se situe la frontière entre l’eau et le ciel ?

Dans une eau devenue malgré tout cristalline, étonnante de transparence, les carpes qui ne savent plus très bien dans quels flots elles évoluent,  marsouinent au plus près de la rive. Nullement craintives, je peux m’approcher pour les observer, sans les effrayer par ma présence. De son vol silencieux, un héron traverse, tel un fantôme, l’étendue offerte à ses ailes majestueuses. Il disparaît dans la brume derrière laquelle, çà et là, se devine la berge opposée. Des esquisses inachevées d’arbres au feuillage ruisselant, surgissent de manière erratique.

La pluie s’intensifie : les gouttes tombent plus serrées et plus épaisses. Elles cinglent la surface des roselières proches et le clapotis monte en puissance. Sur le sentier, ce n’est pas mieux : la végétation n’offre plus aucun abri, transpercée par l’averse qui lacère les jeunes pousses printanières.

Les ruisseaux débordent d’une arrogance impétueuse que je ne leur connaissais pas. Dévalant dans un bouillonnement, ils se précipitent dans le lac pour ne plus faire qu’un avec lui.

Je comprends ce que signifie l’expression : être trempée jusqu’aux os. Depuis longtemps, mes vêtements dégorgent d’eau, mes pas se sont alourdis sous le poids des chaussures détrempées. Je suis imprégnée de pluie, je suis devenue pluie. Vêtue, sans l’avoir voulu, de couleurs grise et beige, il me semble ainsi me fondre dans le décor, me dissoudre dans les éléments de ce paysage.

L’évidence de ce sentiment surprenant se renforce et me trouble au point de m’arrêter. Je prends conscience de la solitude du lieu, de la mienne. Mais cet isolement me plaît, transportée par l’opportunité de la météo dans un univers que je ne soupçonnais pas. Il se dévoile à mes regards, à mes sens et de ce cadeau de la Nature naissent des émotions teintées de reconnaissance. Je ressens la certitude intime que personne d’autre n’est là en ce moment. Je perçois que cette rencontre fusionnelle et cette proximité n’appartiennent qu’à moi.

Je continue alors mon footing, pataugeant dans les flaques, visage offert à la pluie, bras écartés pour étreindre cet instant inoubliable.

Enquête ou En quête

Le temps s’échappe, m’échappe.
Par quel tour de magie réussit-il toujours à tromper ma vigilance ?

Mes tentatives pour le retenir s’avèrent toujours vaines.
Mes doigts tentent de l’accrocher, l’enserrer.
Mais il s’écoule et file, sans état d’âme.
Immuablement.

Seuls persistent çà et là quelques filaments de mélancolie,
Comme ces longues herbes vertes que peigne le courant des rivières.

Où s’enfuit-il ? Je peux m’adonner à toutes sortes d’activités
Afin de le quantifier, de le compter, le décompter…
Je peux aussi le traquer, me mettre en embuscade,
Pour essayer de l’apercevoir dès que je le percevrai…

Il a toujours le dernier mot et finit par disparaître.
Sans laisser d’indice.

Pourtant, mon visage dans le miroir ne ment pas sur son passage.
Un regard en arrière sur ma vie lui confère l’aspect d’un livre volumineux.
Les pages en sont noircies d’écriture.
Mes yeux n’éprouvent aucun scrupule à montrer un horizon devenu incertain.

Je n’avance pas davantage dans ma quête :
Elle débouche sur la même voie sans issue.

Autant vouloir attraper le vent :
Plus je cours après le temps, plus il s’effiloche, se rend insaisissable, se joue de moi.
Mon existence ressemble à une dentelle, sans trame ni chaîne ;
Les parties ajourées indiquent tous ces moments où j’ignore ce que j’ai fait de ma vie.

Il doit exister malgré tout une réponse.
À portée de main, à portée d’esprit.

Cette trame-là existe bel et bien.
À moi d’apprendre à la déchiffrer, pour ensuite la lire.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Avant de n’avoir plus le temps.

Au lieu de m’éparpiller dans tous les sens,
Peut-être devrais-je chercher en moi.

Je me suis posée dans les herbes folles,
Les yeux perdus sur ma chère montagne.
Cette brise printanière que je laisse pénétrer mon esprit,
Ce doux soleil qui me rassure de sa chaleur…

Je crois avoir senti, l’espace d’un instant, le temps s’arrêter.
À moi d’apprivoiser cette fugace vision pour comprendre, l’apprécier. Enfin…

Le printemps

 

La nature déploie sa palette de nuances olfactives et visuelles pour surprendre la promeneuse que je suis, guidée par ma seule curiosité de voir se transformer pratiquement en temps réel mon environnement.

L’air a abandonné sa texture froide et agressive pour se faire léger. Il emplit mes poumons d’un souffle nouveau, et apporte jusqu’à la moindre de mes cellules un bouquet de saveurs vivifiantes.

Au détour d’un chemin, l’aubépine, galvanisée par le chaud soleil, m’entoure de son parfum entêtant. Partout ce ne sont que senteurs toutes plus délicates les unes que les autres. J’en identifie quelques unes, mais il arrive que le vent les mélange, les combine pour créer ainsi une nouvelle fragrance dans laquelle j’essaie d’identifier les fleurs où il a puisé son inspiration.

 Je retrouve avec délice tous ces parfums et m’émerveille de cette mémoire spécifique qui me permet de m’en souvenir, année après année. J’identifie ainsi celui de la narcisse sauvage, et d’autres parfums encore, qui, véhiculés par le souffle du printemps, ravivent mes souvenirs odoriférants.

 Il me vient une idée : si je découvrais pour la première fois ces parfums, comment les analyserais-je ? Comment les percevrais-je ? Alors, j’essaie de me placer en situation en demandant à mon cerveau d’oublier pour un temps ce qu’il sait, de fermer à double tour les tiroirs de sa mémoire. Après plusieurs tentatives, il me semble parvenir en terre inconnue et les effluves  qui m’entourent me surprennent, me déroutent et me ravissent. Je respire à pleins poumons, capture et retient prisonnier ce délire de senteurs.  Il me semble, dirais-je, parvenir au cœur même de l’odeur, en ressentir toutes les subtilités, toutes les gammes. Comme sur une partition de musique, les arômes vont crescendo ou descendent vers des touches plus lourdes, paraissent un temps insaisissables pour mieux resurgir un peu plus loin. C’est prodigieux autant qu’enivrant.

Autour de moi, les verts n’en finissent plus de se décliner. La vigilance est de rigueur car tout se transforme très vite. Un pré, une forêt, un paysage, tout, à petite ou grande échelle, évolue très rapidement et une grande attention s’impose pour ne rien manquer du spectacle. La Nature ménage ses effets de surprise, elle intervient partout à la fois, mais à des moments différents, calculés, ordonnés, selon une mystérieuse organisation connue d’elle seule. Pourquoi cet arbre se réveille-t-il avant tel autre ? Et pourquoi, inversement, ce dernier sera-t-il le premier à porter des fleurs ?

Jamais la Nature n’a été aussi inventive. Elle est à l’apogée de son talent. L’œil se laisse prendre par la magnificence de ce qu’il découvre. Rien ne résiste à la grande révolution du printemps qui imprime partout sa marque. Même le monde minéral n’est pas oublié, les roches s’habillent de lumière et de chaleur, paraissent vivantes. L’eau des rivières devient à nouveau le miroir du ciel, s’écoule plus vivement, reflète toutes les couleurs nouvellement déployées et dépose sur ses berges les odeurs emprisonnées dans ses remous.

Et c’est en cela que réside le miracle du printemps. On pourrait penser avoir tout écrit, tout décrit à son sujet, mais chaque année, ce sont des émotions, un émerveillement toujours renouvelés qu’il libère.