Se lâcher

Et vogue la galère !
Fais fi des règles de grammaire,
Des répétitions, des barbarismes !
Sors au plus tôt de cet étouffant conformisme !

Lâche-toi ouvertement dans ton écriture !
Adopte, pourquoi pas, la désinvolture…
Oublie d’ores et déjà les mots sophistiqués,
Débride immédiatement ta créativité embusquée !

Joue-toi clairement de la dictature des rimes,
Recherche tout là haut l’inspiration des cimes.
Use à profusion de mots absents du dictionnaire,
Adopte un esprit profondément contestataire !

Ose pour une fois, te défouler, crier, gueuler !
Écoute attentivement ton imagination t’appeler !
Laisse vivre enfin ! enfin… ta plume,
Laisse-la éclabousser tes textes de son écume !

Au petit matin

Dans la douceur de cette nuit qui s’étire,
Dans la fraîcheur de ce jour qui s’éveille,
Entre rêve et conscience,
Mes mains cherchent ton corps
Que le sommeil n’a pas encore quitté.

Dans la moiteur des draps froissés,
Dans la tiédeur de ta peau,
Entre tentation et émoi,
Mes mains caressent ton corps
Que le sommeil a délaissé.

Dans la chaleur de mes baisers,
Dans la fièvre de ton désir,
Mes mains affolent ton corps
Que tenaille la faim du plaisir.

Dans l’ardeur de notre envie,
Dans la brûlure de ton bas-ventre,
Mes mains entraînent ton corps
Vers l’ultime jouissance.

Un autre rendez-vous

Vingt minutes à attendre… Elle se félicite intérieurement d’être arrivée en avance : réajuster promptement ses vêtements, vérifier sa coiffure, calmer son cœur. Réfléchir aux premiers mots à prononcer, au premier sujet de conversation à aborder. Rien ne doit être fait dans la précipitation. Rien ne doit être laissé au hasard.

Accepter ce premier rendez-vous ! Comment en a-t-elle été capable ? Un premier « oui » : un premier pas vers cet inconnu. Il visite ses nuits. Elle sent déjà poindre un sourd désir. La porte de l’espoir qui s’entrouvre. Une audace qui voit s’enflammer sa confiance en elle-même.

Un coup d’œil rapide à sa montre : un quart d’heure à patienter. Sentiment du temps qui ralentit malicieusement. Accélération du cœur. Observation de son reflet dans la vitrine du magasin. Cette mèche de cheveux rebelle. Elle aurait dû la couper. Ce détail la perturbe. Elle repense à sa longue et minutieuse préparation. Optimiser ses chances de séduction… Choix compliqués, dilemmes superficiels pourtant si primordiaux à ses yeux.

Encore dix minutes. L’excitation qui s’amplifie. Elle ne tient plus en place. Surtout, rester naturelle, ne pas dévoiler sa nervosité. Laisser croire à de l’assurance. Sans excès cependant. Trouver la juste attitude. Regards furtifs autour d’elle. Supputations, hypothèses… Est-ce lui, là-bas, qui semble chercher quelqu’un ? Cet homme athlétique s’avançant d’un pas hésitant ? Cet autre, assis sur ce banc depuis quelques instants ? Peut-être ne l’a-t-il pas remarquée et repartira-t-il sans lui avoir parlé ? Affolement du cœur.

Cinq minutes ! Quelle torture ! Supplice interminable… L’homme qui attendait vient d’être rejoint par une jeune femme. Déception. Le temps se rit de son attente. De son insoutenable attente. S’efforcer de penser à autre chose pour tromper cet ennemi. Son émoi va grandissant. Soudain, des pas derrière elle ! Ils s’approchent, pressés. Son cœur va exploser ! Ses jambes vacillent. Il est là, c’est certain ! Confus, bien sûr, de son retard. Vite, afficher le sourire répété inlassablement devant son miroir ! L’excuser avec un petit rire qui ne saura cacher ni sa nervosité ni son soulagement. Mais l’homme passe sans s’arrêter. Il poursuit son footing, indifférent à cette femme soudain éperdue.

L’heure du rendez-vous est maintenant dépassée. De deux minutes. Accélération du temps, subitement. Cinq minutes se sont déjà écoulées. Regards éplorés d’un côté, de l’autre. Refuser l’évidence. Imaginer, supposer : un ralentissement dans les transports, une panne de véhicule… Dix minutes. Il va surgir, elle y croit encore, bien qu’en son for intérieur, une autre vérité s’insinue et libère son venin. Vérifier sur ses sms l’heure du rendez-vous ! Elle s’est trompée, évidemment ! Peut-être même de jour ! Quelle idiote ! La voilà rassurée… jusqu’à ce que le sms vérifié hâtivement, la détrompe et ruine définitivement ses espoirs.

Ses jambes vacillent toujours, mais de désarroi cette fois. Epaules qui s’affaissent, maquillage qui coule sous ses larmes amères. Elle se trouve vieille, laide. Sa tenue vestimentaire ridicule. Se reproche sa crédulité, voire, sa naïveté. Elle avait pourtant mis toutes les chances de son côté pour connaître enfin la chaleur de l’amour, la douceur de la tendresse. Sa désillusion est immense, elle chute dans un abîme insondable et noir. Elle déambule ainsi longuement, quand, au détour d’une rue, un rayon de soleil impromptu s’arrête sur son visage. Elle marque une pause et ferme les yeux jusqu’à ce que tout s’apaise en elle. Puis elle reprend sa marche, au hasard des flaques de lumière qu’elle rencontre.

Histoire incohérente

Je parcours la montagne, marchant dans un chemin creux façonné par le temps. Ma main tendue s’ouvre et s’offre au vent pour me rappeler que la vie passe avec lui. Je le laisse m’envelopper et m’habiller de son souffle.
Mon regard caresse le tronc noueux du chêne que j’étreins à pleines paumes pour y puiser la force nécessaire. J’unis ma respiration à la sienne.
Mes yeux s’attardent sur les racines entremêlées du hêtre entre lesquelles mes pensées vont se blottir et faire corps avec elle.

Mais voici qu’un coquelicot piétiné et abandonné par quelque promeneur irrespectueux gît à mes pieds.
Je suis émue devant l’infinie douceur qui en émane, bouleversée par sa fausse désinvolture, étonnée de sa beauté sans artifice, mais surtout attristée par tant de fragilité malmenée.
Se peut-il qu’une fleur puisse être tout cela à la fois ? Ou bien, coquelicot, serais-tu mon propre reflet ?
Mais déjà, voilà que tombent les pétales, emportant un à un l’âme de la fleur. Coquelicot, tu as été avant tout victime de toi-même. Tu n’avais pas les épines de la rose ni le port altier de sa beauté orgueilleuse. Tu étais simplement joli et vulnérable.

Alors…
Alors, tout en reprenant mon chemin, je laisse ma main s’écorcher sur les pierres sèches pour endurcir et fermer mon cœur, je la laisse s’égratigner aux épines des ronciers pour ne pas oublier celles de la vie, je creuse dans la terre un sillon avec mes ongles pour y enterrer mes rêves à jamais, j’offre mes larmes au vent, je mêle ma plainte à la sienne et je hurle avec lui : qui, mieux que lui, pourrait me comprendre ? Et qui, autre que lui, pourrait m’entendre ?

Le rendez-vous

Concours poésie Palavas – 2018

Nouvelle récompensée avec le 2eme prix au concours national de BALLADE PHILOSOPHIQUE SUR LES RIVAGES PALAVASIENS

Vingt minutes à attendre… Elle se félicite intérieurement d’être arrivée en avance : réajuster promptement ses vêtements, vérifier sa coiffure, calmer son cœur. Réfléchir aux premiers mots à prononcer, au premier sujet de conversation à aborder. Rien ne doit être fait dans la précipitation. Rien ne doit être laissé au hasard.

Accepter ce premier rendez-vous ! Comment en a-t-elle été capable ? Un premier « oui » : un premier pas vers cet inconnu. Il visite ses nuits. Elle sent déjà poindre un sourd désir. La porte de l’espoir qui s’entrouvre. Une audace qui voit s’enflammer sa confiance en elle-même.

Un coup d’œil rapide à sa montre : un quart d’heure à patienter. Sentiment du temps qui ralentit malicieusement. Accélération du cœur. Observation de son reflet dans la vitrine du magasin. Cette mèche de cheveux rebelle. Elle aurait dû la couper. Ce détail la perturbe. Elle repense à sa longue et minutieuse préparation. Optimiser ses chances de séduction… Choix compliqués, dilemmes superficiels pourtant si primordiaux à ses yeux.

Encore dix minutes. L’excitation qui s’amplifie. Elle ne tient plus en place. Surtout, rester naturelle, ne pas dévoiler sa nervosité. Laisser croire à de l’assurance. Sans excès cependant. Trouver la juste attitude. Regards furtifs autour d’elle. Supputations, hypothèses… Est-ce lui, là-bas, qui semble chercher quelqu’un ? Cet homme athlétique s’avançant d’un pas hésitant ? Cet autre, assis sur ce banc depuis quelques instants ? Peut-être ne l’a-t-il pas remarquée et repartira-t-il sans lui avoir parlé ? Affolement du cœur.

Cinq minutes ! Quelle torture ! Supplice interminable… L’homme qui attendait vient d’être rejoint par une jeune femme. Déception. Le temps se rit de son attente. De son insoutenable attente. S’efforcer de penser à autre chose pour tromper cet ennemi. Son émoi va grandissant. Soudain, des pas derrière elle ! Ils s’approchent, pressés. Son cœur va exploser ! Ses jambes vacillent. Il est là, c’est certain ! Confus, bien sûr, de son retard. Vite, afficher le sourire répété inlassablement devant son miroir ! L’excuser avec un petit rire qui ne saura cacher ni sa nervosité ni son soulagement. Mais l’homme passe sans s’arrêter. Il poursuit son footing, indifférent à cette femme soudain éperdue.

L’heure du rendez-vous est maintenant dépassée. De deux minutes. Accélération du temps, subitement. Cinq minutes se sont déjà écoulées. Regards éplorés d’un côté, de l’autre. Refuser l’évidence. Imaginer, supposer : un ralentissement dans les transports, une panne de véhicule… Dix minutes. Il va surgir, elle y croit encore, bien qu’en son for intérieur, une autre vérité s’insinue et libère son venin. Vérifier sur ses sms l’heure du rendez-vous ! Elle s’est trompée, évidemment ! Peut-être même de jour ! Quelle idiote ! La voilà rassurée… jusqu’à ce que le sms la détrompe et ruine définitivement ses espoirs.

Ses jambes vacillent toujours, mais de désarroi cette fois. Epaules qui s’affaissent, maquillage qui coule sous ses larmes amères. Elle se trouve vieille, laide. Sa tenue vestimentaire ridicule. Se reproche sa crédulité, voire, sa naïveté. Elle avait pourtant mis toutes les chances de son côté pour connaître enfin la chaleur de l’amour, la douceur de la tendresse. Sa désillusion est immense, elle chute dans un abîme insondable et noir. Elle voudrait que, de battre, son cœur s’arrête.

Un choix à faire

Cet été, les marches de l’escalier sont vides. Plus aucune fleur ne vient les égayer, ni accompagner le visiteur jusqu’à la porte d’entrée. Les traditionnels rhododendrons rouges ont disparu. C’est un signe. Un signe de détachement qui ne trompe pas. Elle n’en connaît que trop bien la signification.  

De temps en temps, elle apprend qu’une connaissance s’en est allée, de maladie ou de vieillesse. Ainsi, peu à peu, c’est la forêt qui se décime autour d’elle, ne laissant que ce vieil arbre isolé, esseulé, auquel elle s’identifie. Exposé chaque fois davantage à la morsure du vent, à la brûlure du soleil et à la rigueur de l’hiver. Par ses racines s’échappe peu à peu la vie qu’il ne cherche plus à retenir. 

Bien sûr, sa famille l’entoure d’amour, de dévouement, devine ses moindres besoins. Toujours présente et l’accompagnant aussi bien que possible. Les tapis de velours déroulés devant ses pieds anticipent et aplanissent les difficultés de la vie. 

Bien sûr, elle apprécie la disponibilité des siens, leur manière délicate et pudique de l’encourager à continuer son chemin. Ils accrochent aux murs de sa maison des rires colorés, parfument de bouquets odorants chaque pièce. Elle s’appuie sur leur sollicitude pour avancer pas après pas, elle s’abreuve à leur cœur pour rester debout, jour après jour. 

Toutefois, elle préfère ne pas se mentir. Tous ces efforts auxquels elle consent pour rassurer son entourage, ne font qu’accroître sa fatigue et puiser dans ses réserves. Le courage lui manque, de leur révéler ce qu’ils se refusent à voir. Cruel dilemme : partagée entre l’envie de se réchauffer auprès de sa famille -mais de nourrir ainsi faussement leurs espoirs-, et le désir quasi-impérieux de se replier sur elle-même pour tenter de distinguer un horizon devenu au fil du temps de plus en plus flou.

De quel côté placer ses attentes ? Doit-elle se forcer à vivre ou s’autoriser à ne plus lutter ?  

Elle interroge son corps dominé par la lassitude et l’épuisement. Si l’horloge de son cœur continue de battre régulièrement, c’est avec moins de fougue, moins d’intensité. Son rythme s’est ralenti, à moins qu’il ne soit déjà plus que l’écho de ce qu’il fut ? De quelles invisibles frontières s’approche-t-elle ? Cette idée-là l’angoisse autant qu’elle la rassure : elle aimerait tant pouvoir se reposer, se laisser aller, s’endormir doucement d’un sommeil sans rêve… 

Et puis, il y a ce silence qui monte en elle, de plus en plus opaque. Elle sait bien ce qu’il représente quand tout se tait au plus profond de son être. Ce n’est pas le silence qu’elle entend : c’est le vide, le néant. Progressivement, elle s’est habituée à lui, comme on s’habitue chaque jour à voir surgir le brouillard. 

Lentement, malgré elle ou inconsciemment, elle se recule au fond de la scène, de cette scène où s’est déroulée toute une vie, sa vie. Elle se rapproche du rideau noir prêt à l’envelopper de son étreinte. 

Surgit alors de sa mémoire le rire cristallin d’un de ses petits-enfants, qui fuse comme un éclair et ramène un vague sourire sur ses lèvres. Elle n’a pas le cœur d’infliger son absence à sa famille, elle ne veut pas les faire souffrir. L’idée seule de leurs larmes, de leur détresse, lui arrache un sanglot étouffé. Mon corps, mon corps, pourquoi m’as-tu fait cela ? Pourquoi le temps a-t-il eu raison de toi alors que mon esprit est toujours aussi alerte ? Pourquoi m’as-tu abandonnée, alors que j’ai encore tant à apprendre, tant à découvrir ?  

Mais quelle est cette voix ténue ? Qui parle ? Elle écoute, ne parvenant pas à en distinguer l’origine. Quand soudain, elle tressaille en reconnaissant la voix de l’homme aimé qui a partagé son existence. Son destin ne lui a pas laissé le choix, il est parti depuis de longues années. Que dit-il ? Les paroles se font de plus en plus compréhensibles, de plus en plus proches… 

Elle regarde encore par la fenêtre : le soleil de cette fin d’été colore les arbres d’un vert mordoré des plus lumineux, c’est si beau… Des enfants jouent quelque part, elle les entend rire au loin, c’est si doux… Tandis que la voix continue de lui murmurer des paroles. Des paroles qu’elle reçoit comme une réponse à ses questionnements. 

Dans sa tête désormais, tout est clair. Elle a pris sa décision…

Serial synonyms

Qu’est-ce qu’un synonyme ?
« Il s’agit d’un terme que l’on peut substituer à un autre dans un énoncé, sans changer le sens de celui-ci », annonce le docte Larousse.
D‘accord… Mais alors, le mot « synonyme » lui-même possède-t-il un ou plusieurs synonymes ? Question aussi curieuse qu’insolite. Cependant, elle me taraude, me poursuit.
Le verdict tombe : oui…
Je n’imaginais pas le contraire, mais le dictionnaire, avec sa neutralité académique, s’est posé en arbitre. Je m’incline devant le maître… Il serait plus louable de les rechercher dans ma mémoire, mais celle-ci se veut paresseuse, joue la carte de la victime des fameux trous… de mémoire. Donc, j’abdique et ajuste les lunettes sur mon nez pour déchiffrer les petits caractères de la réponse. (Des lunettes qui ont mal vieilli, car moins performantes, semble-t-il, à en juger par la taille des lettres qui a encore diminué.)
Des termes s’animent sous mes yeux, tentent de s’aligner en bon ordre, puis choisissent de se précipiter pour revendiquer chacun son droit de Réponse qu’il estime, bien sûr, prioritaire. Ils jouent des coudes pour attirer mon attention. Quel panier de crabes ! On dirait des mots croisés… Ou le roi et sa cour de courtisans…
« Je me présente ! me crie l’un d’entre eux avec véhémence : Je suis Équivalent. Jugez-en par vous-même : «Équi» signifie égal et «valent», valeur. Je suis bien le frère de Synonyme, mieux : son frère jumeau. »
Surprise par tant d’audace, je dévisage Équivalent sous toutes les coutures. Oui, je ne peux nier les ressemblances qu’il revendique.
Je viens donc de faire connaissance avec le premier synonyme dont le sens s’approche le mieux de… lui-même.
« S’approche » ? Ai-je bien entendu ? Ne s’agit-il pas là d’un autre synonyme ? Il s’est glissé subrepticement dans mon filet à capturer les mots. D’ailleurs, il attend, me regarde, fier de son astuce, brandit son apostrophe au bout de laquelle il a accroché sa définition pour me convaincre du bien-fondé de sa démarche : « Je suis venu près de vous, je me suis avancé tout près. »
Un peu sceptique tout de même, j’analyse sa signification. Il a raison, il correspond lui aussi aux critères de ma recherche, mais son sens s’éloigne un peu. Un comble lorsqu’on prétend s’approcher ! Pour achever de me convaincre, il m’annonce fièrement être le cousin germain de Synonyme.
Je me penche sur la suite de la réponse fournie par le dictionnaire, où s’agitent encore d’autres synonymes. Ils se bousculent, s’emmêlent dans leurs hampes et leurs jambages, se neutralisent de leurs boucles qu’ils utilisent comme des lassos, lâchent des salves d’accents dont les graves percutent les aigus.
S’élève alors une corde semblant onduler pour tenter de s’extraire de cette cacophonie. Je m’en saisis : cette lettre est en train de se noyer dans le torrent de réponses. Et j’accroche, tout hirsute, « Similaire », ravi de s’en tirer à si bon compte. « Certes, me dit-il, encore tout essoufflé, je ne suis pas aussi proche que Équivalent, mais on m’appelle aussi Semblable. Et à ce titre-là, vous ne pouvez pas ignorer le fait que je suis un synonyme du mot qui vous pose question. »
Je soupèse son argument… Semblable, oui, c’est juste. On s’éloigne encore un peu plus du sens initial… Je réfléchis encore lorsque je l’entends plaider sa cause : « Je ne suis qu’un cousin éloigné, mais cousin malgré tout… » La cause est entendue. Ainsi ai-je maintenant trouvé trois « mots-réponses ». Satisfaite des résultats, je m’apprête à refermer le dictionnaire, mais un appel parvient jusqu’à moi :
« J’étais sûr d’être oublié ! Quel sort injuste ! »
Vite, retrouvons la bonne page : « Qui me parle ? »
« Remplaçant » s’avance en maugréant : « C’est toujours pareil à chaque fois, je remplace mais aussitôt mon travail terminé, on m’oublie. Je viens de le vérifier une fois encore à mes dépens».
Il y a de la concurrence dans l’air : un autre synonyme s’est glissé à son insu dans sa réponse : « Pareil ». Pareil se fait discret, un clin d’œil à mon attention pour me rallier à sa cause. Je ne dirai rien sur sa présence, chacun sait que les mots, parfois, dérapent et dépassent la pensée…
Revenons à Remplaçant qui fulmine. L’air faussement navré, je me confonds en excuses auprès de lui : « Croyez bien que je n’avais pas l’intention de vous ignorer, je suis trop respectueuse du travail que tout auteur, digne de ce nom, exige de vous, lorsqu’il crée une œuvre. J’ai agi avec précipitation… »
Il est tellement vexé que je n’ose pas lui faire remarquer combien son sens s’éloigne de celui de Synonyme, tels des cercles concentriques autour d’une pierre lancée dans l’eau calme.
« Vous avez besoin de si peu pour satisfaire votre curiosité ?  Vous vous contentez de l’À Peu Près ?» Décidément, me voilà encore interpelée. Euh… Je rechausse mes lunettes, me penche sur la page : oups ! Je ne suis pas allée jusqu’au bout de ma lecture !
« À Peu Près » me regarde d’un air courroucé qui n’admet aucune réponse de ma part. Je fais profil bas et le range dans mon escarcelle déjà bien remplie. J’achève ma moisson en faisant également main basse sur « Adéquat » que je n’avais pas vu, caché dans un endroit inadéquat : au verso de la page…
Je suis désormais en possession d’une belle famille de mots, avec chacun ses spécificités. Chacun porte en lui des nuances, comme une palette de couleurs. Chacun débouche sur d’autres horizons, d’autres vues de l’esprit. Au sens figuré, au sens propre, les mots se marient avec d’autres sens plus éloignés qui ouvrent sur de nouvelles perspectives, sur une arborescence s’étendant à l’infini. À moi de les écouter d’abord, pour jouer avec, les combiner entre eux et retirer la quintessence de leurs associations…

Avis de recherche

Pourtant, deux minutes auparavant, un feu d’artifice de pensées habitait son esprit, des interconnexions rapides comme l’éclair apportaient des réponses à des questions accumulées depuis trop longtemps, des évidences s’amassaient sous ses yeux ébahis, le puzzle de sa vie prenait forme avec la fulgurance d’une pluie d’orage. Désinhibé, le cerveau ! Décloisonnées, certaines zones sclérosées, fermées à double tour parce que trop douloureuses ou à l’origine de conditionnements qui avaient gouverné toute une vie ! Lorsque sautent les verrous, c’est un flot intarissable de vérités qui déferle. Tout s’éclaire ! C’est le cri du génie qui vient de trouver une idée révolutionnaire, la fierté de l’explorateur qui vient de conquérir de nouveaux territoires, le détail qui amorce les révélations.  

Mais le temps de se mettre en place pour capturer et assembler par des mots, des phrases, toute la trame tissée avec autant de rapidité, tout s’était évanoui. Ne subsistait plus qu’un silence intérieur où résonnait encore vaguement l’écho de ce tourbillon saisissant.  

Maintenant, à peine quelques réminiscences restent encore visibles, aussi faibles qu’une lueur de bougie malmenée par le vent.  

Toute sa démarche intellectuelle serait-elle donc à recommencer ? Ou bien son cerveau a-t-il gardé inconsciemment la trace de ces découvertes, de ces liens qui lui permettent d’aller au-devant de lui-même ? Comprendre qui il est, son fonctionnement, à quels carcans despotiques il s’est plié avec automatisme depuis si longtemps… 

Le temps passe, il ne doit pas le gaspiller. Le temps presse, il doit le mettre à profit pour terminer cette quête. Terminer ? Le mot est-il vraiment bien choisi ? Mettre un jour un point final à la connaissance de soi-même est-il envisageable ?  

Un sourire flotte sur ses lèvres ; ses yeux, perdus dans le vague, s’arrêtent sur la réponse qu’il connaît déjà… Enfance, adolescence, âge mûr, vieillesse : chaque saison apporte son lot de transformations, d’évolutions, certaines plus visibles que d’autres, plus ou moins importantes, plus ou moins profondes. Comme un arbre se dépouille à l’automne de ses feuilles, il a laissé derrière lui des histoires dépassées, des souvenirs fanés et insipides, des certitudes vidées de leur relief, des croyances qui n’en étaient pas. Sa vie a été jalonnée de déceptions dont l’amertume va en s’amenuisant et de joies dont l’éclat brille toujours, de peurs jugées désormais démesurées et infondées, de souffrances qui resteront à jamais enkystées dans les sillons creusés irrémédiablement, d’espoirs sans vie et d’autres, plus tenaces. Il s’est dépouillé, a fait place nette, son regard est différent, plus acéré, quoique plus bienveillant, plus réaliste ou plus lucide. Mais au fond du cœur respire encore cette part de confiance qui fait l’innocence des enfants, parce que là réside l’espérance. 

Il pose papier et crayon pour écouter l’apaisement s’installer en lui comme un voile de brume sur une rivière sereine.

Noyade

Je flotte dans un monde dont je suis prisonnière, dont je n’arrive plus à ressortir. Je suis mal. La machine est en marche et je ne peux plus l’arrêter. J’appelle au secours, prie pour qu’on vienne me chercher car je me noie. La nuit, des mots, des bribes de phrases me réveillent en sursaut pour me crier la vérité que je refuse de regarder. Je les grave pourtant dans ma mémoire pour ne pas les oublier ou bien je me lève pour les retranscrire aussitôt d’une main fébrile et dans un état second.

Le jour, mille et un détails du quotidien déclenchent une bourrasque de pensées, d’associations d’idées. La tempête souffle en permanence dans ma tête, je ne trouve de repos nulle part. Un grand puzzle se met en place, toutes les routes se rejoignent, je tourne en rond, confrontée à une évidence irrévocable, implacable qu’aucune force, même surhumaine, ne pourrait atténuer. C’est épuisant. Physiquement et psychologiquement.

Je ne comprends toujours pas ce qu’il m’arrive ou peut-être me suis-je réfugiée dans le déni… Car indubitablement, je me refuse encore à faire sauter ce dernier verrou. Trop d’entre eux ont déjà lâché et gérer l’ultime verrou devient difficile, sinon impossible.

La puissance de mon désordre intérieur n’a d’égale que celle mise pendant des années à tout cadenasser avec la plus grande minutie.

Je tremble de l’intérieur. Un séisme se prépare auquel mes ressources ne pourront pas faire face. Je le redoute autant que je l’appelle de tout mon être, comme libérateur d’une situation inextricable qui m’empoisonne peu à peu mais avec certitude.

Tout ce que j’écris n’est finalement que mon histoire. Une histoire banale, universelle, mais aussi originale, unique. Le décor est campé, les personnages aussi. L’introduction et le développement sont déjà bien avancés. Quant à l’épilogue, je sais que ce n’est pas moi qui l’écrirai, c’est la Vie qui s’en chargera. A moins que l’usage et la force de la Raison m’aident à tirer les conclusions ? Ou bien que je choisisse de lâcher prise et de museler la Raison pour ouvrir ces portes derrières lesquelles souffle le vent de l’Inconnu ?
Se peut-il qu’il soit celui de la Vie ?
Suis-je prête à en payer le prix ?