Etat des lieux

À quoi bon se parer
De ce que fut sa vie,
Des écueils évités,
Des victoires gagnées ?

À quoi bon les afficher
Comme un blason,
Espérant l’admiration,
Voire l’envie des autres ?

À quoi bon cette mascarade
Quand s’égrènent sur le visage
Les notes du temps inéluctable
Qui nous apprennent l’humilité ?

À quoi rimerait de se prévaloir
De quelque prestige,
Quand la vie nous oublie,
Sinon par besoin de reconnaissance ?

À quoi bon quémander
Clémence ou sursis,
Lorsqu’il est temps de partir,
De laisser la place ?

Feu de paille

Il l’a reconnue quand leurs yeux se sont croisés.
Ils étaient déjà, l’un et l’autre, apprivoisés.
Fébriles aux premiers frôlements de leurs mains,
Trop vite devenus amants sans lendemain.

Émus aux battements confondus de leurs cœurs,
Tous deux ont bu cet amour comme une liqueur,
Sans avoir compris que tout n’était que mirage,
Sans prendre le temps de déposer leurs bagages.

Tombent alors les feuilles des malentendus
Qui ne protègent pas les âmes éperdues.
Les frimas de l’hiver glacent leurs sentiments
Qu’ils croyaient voir germer dans l’indéfiniment.

Balade

Balade à pied, insouciance offerte au zéphyr,
Nuque courbée sous le soleil d’un ciel saphir,
Mes pensées vagabondent, libres et légères.
Une odeur me surprend, telle une messagère.

C’est le blanc lilas qui semble ainsi m’appeler.
Ses grappes généreuses un brin crénelées,
Accueillent mon visage, d’envie frémissant.
Je respire à plein nez son suc étourdissant.

Balade nocturne, insouciance d’un soir,
Nuque courbée sous le désir de ton pouvoir,
Mes pensées flottent, subliment tes belles mains.
Un parfum me foudroie, je m’arrête en chemin.

C’est celui de ta peau, exquise invitation
À m’en délecter de grandes inspirations.
Il exhale sans fin, exacerbe mes sens.
Il éclate en moi, lumineuse arborescence.

Balade odorante, insouciance des âmes,
Nuque courbée sous la brûlure de ta flamme,
Mes pensées, mêlées aux tiennes, ne sont plus qu’une.
Une senteur s’insinue en nous, couleur de lune.

Dans l’expectative

Je ne suis plus à l’écriture.
Je respire chaque idée,
M’enivre de son parfum,
La trouve vraiment séduisante
Et tellement originale.

Mais à toute tentative
Pour la cueillir gentiment,
Elle perd toute saveur
Et me plonge dans l’incertitude.
Je me noie dans le néant.

Traversée du désert…
Aridité. Pire : stérilité.
Mutisme de ma plume.
Autour de moi, des mirages.
Insaisissables, fantomatiques.

J’abreuve de poèmes
Mon imaginaire asséché.
C’est pourtant si simple
De faire parler les mots,
De jouer avec leurs forces !

Je taraude et malmène mes sens
Pour m’emparer de la moindre émotion
Que je coucherais sur le papier
Avec dévotion et soulagement.
Mais le néant se tient devant moi.

Relecture angoissée de mes écrits…
Qui donc était celle qui a rédigé
Des textes aussi divers,
Aussi chargés d’émotions ?
Vit-elle toujours en moi ?

Sentiment d’être tenue en échec
Par une force invisible et invincible.
Une analyse rationnelle
Me lance sur une piste possible :
Et si je n’avais plus besoin d’écrire ?

Ou plutôt, si je ne voulais plus écrire ?
Pour ne pas regarder, ne pas voir
Ma vie et ses interrogations ?
Mais j’ai déjà vécu tant de deuils…
Laissez-moi encore écrire, ne m’en privez pas…

Le miroir

J’ai entendu nettement son appel muet.
Impossible de l’ignorer, même aussi fluet.
Il s’est manifesté de manière si intense
Que je n’ai pu offrir la moindre résistance.

Je me suis arrêtée.

Dans un recoin du musée, ce portrait oublié
Dévoilait une jeune femme au maintien altier.
À première vue, ce tableau ne m’évoquait rien.
Mais son regard a d’emblée croisé le mien.

Je me suis approchée.

Dans sa robe à corset stricte de couleur sombre
Elle était entourée d’une profonde pénombre.
Seule une douce lumière descendait sur son visage
Créant avec l’austérité du tableau un décalage.

Je me sentais fascinée.

J’aurais pu apprécier le jeu subtil des couleurs,
La perfection de l’ensemble, gage de valeur.
Mais au-delà de ce visage, raffiné et gracieux,
J’étais happée par son charme mystérieux.

Je ne pouvais que le lire.

Il présentait la beauté conférée par la jeunesse.
Ses traits étaient tout en diaphane délicatesse,
Mis en valeur par ses cheveux relevés en chignon.
Mais une gravité exagérée trahissait résignation.

Je devais aller à ses devants.

Ses  yeux m’ont capturée, livré leur message.
J’ai écouté l’histoire de ce sournois engrenage.
Tissé par une vie de soumission, ce piège fatal
Étouffait  sa vie, faux-semblant sentimental.

J’étais hypnotisée.

Elle semblait transportée dans le lointain.
Osait-elle rêver à un avenir, même incertain ?
Subissait-elle au contraire les assauts du passé
Jamais silencieux mais trop souvent ressassé ?

Je voulais en savoir plus.

Au coin des yeux mélancoliques, d’infimes rides
Laissaient entrevoir une vie affective aride.
La courbe de ses lèvres n’était que tristesse,
Le pinceau n’avait pu l’effacer de sa caresse.

Je comprenais.

Je m’étais identifiée à cette femme inconnue.
Miroir de mon âme, je m’y étais reconnue
Dans les sentiments exprimés par l’artiste.
J’avais plongé dans ce tableau trop réaliste.

Je m’interrogeai.

Des siècles me séparaient d’elle, de son histoire.
Mais elle avait pu enfin épancher son désespoir.
Longuement, nos confidences silencieuses
Éveillèrent en moi des émotions merveilleuses.

Je la quittai.

Presque à regret, je me suis séparée d’elle.
Elle vit toujours en moi, image intemporelle.
Parfois, j’évoque ce serment échangé exaltant,
Celui de vivre en femme libre chaque instant.

Fragile

Elle paraît si frêle cette fleur diaphane
Soutenue à bout de tige non moins fragile.
De l’opalescence des pétales émane
Une délicatesse émouvante, gracile.

Aucun sépale pour la protéger du froid,
Ni d’épine pour la préserver d’agressions.
Pas d’autre fleur pour rassurer en cas d’effroi,
De buisson pour l’abriter de profanation.

Malmenée par les bourrasques de sa vie,
Elle tremble sous le seul souffle du zéphyr.
Pourtant, de tempête en tourment, elle survit
Et répare obstinément ce qui se déchire.

Piège

Ce verre de vin, bien qu’excellent, était de trop.
Peut-être trop fatiguée, ou trop affamée ?
Mais affamée de quoi, de qui ?

Ce verre de vin, bien qu’unique, a eu raison de moi.
Ma tête tourne, j’ai du mal à faire le point.
Le point sur quoi, sur qui ?

Tout est de ta faute, c’est toi qui l’as voulu.
Un apéritif impromptu, un vin sucré, velouté.
Du velours ? Où donc, pour quoi ?

Tout est de ta faute, c’est toi qui m’as servi.
Ton sourire espiègle, mes lèvres humides.
Humides ? Pour quoi, pour qui ?

Tu attends, sûr de toi… Je m’avance, mal assurée.
Mes jambes chancèlent, tes yeux malicieux sur moi.
Chanceler ? Oui, je te veux. Maintenant.

Désuet proverbe

En avril, ne te découvre pas d’un fil…
Quel insensé a inventé ce proverbe ?
Moi, j’ai envie que tu me dénudes.

J’ai envie… Te sentir t’aventurer
Sur ce territoire réservé à tes sens.
Il ne demande qu’à être conquis.

Je veux épancher ma soif à ta bouche,
Et la laisser étouffer mes gémissements,
Sentir ta langue lécher lentement mes lèvres.

Déchire mes vêtements au plus vite :
Mon corps est en feu, il se consume,
Et de faiblesse, mes jambes se dérobent.

J’arrache les pages de mon calendrier,
Avril n’est déjà plus qu’un souvenir.
Voici mai : fais de moi ce qu’il te plaît.

Ascenseur

Aujourd’hui, c’est l’ascenseur qui m’a emportée.
Pourtant, mon habitation en est dépourvue.
À chaque palier, j’ai vu partir en fumée
L’une après l’autre, toutes les marches gravies.

Le temps d’une respiration fut suffisant
Pour laminer ma confiance en moi, me noyer.
Sombrer dans les abîmes, errer de douleur,
Voir poindre de nouveau les souffrances endurées.

Leur cruauté me torture une fois de plus.
Je suis éprouvée, vulnérable, mise à terre.
Pourtant, ce passage subi mais non voulu
M’est nécessaire pour comprendre où je vais.

Savoir pour pouvoir…

Moi, le greffier

Concours Jules Laforgue – Aureilhan – 2017

Voilà trois jours que je la mate… Elle est là…
Repérée au deuxième étage, ma Lila.
C’est son petit nom. Il tourne en rond dans ma tête.
Comme elle d’ailleurs. Dans mon crâne, la tempête.

Elle s’est installée dans le quartier récemment.
Impossible d’échapper au recensement
Qu’avaient entrepris mes loubards deux mois avant :
Le « Kid » évincé, je suis le chef maintenant.

À ce titre, que personne n’approche d’elle !
Je le dégomme et le transforme en mortadelle !
Elle m’attend, c’est sûr, sera bientôt pour moi.
Je ne cèderai jamais ce joli minois.

Sa souplesse féline pleine d’assurance
À coup sûr ne rencontre aucune concurrence.
Croiser ses yeux turquoise me fait chavirer.
Faut pas la laisser partir, je vais carburer !

J’ai passé du temps à soigner mon apparence,
Lissé ma moustache, coupé les poils trop denses.
Dans le rétro de la bagnole désossée,
Je parie sur un profil : le moins cabossé.

Qui prétend que je frime ? Cassez-vous, les mecs !
Pauvres charlots, vous ne valez pas un kopeck !
Surtout, perdez pas de vue, je vous le conseille :
C’est moi Kéké, dit le Tatoué de l’Oreille…

Nonchalamment posté sur l’escalier,
Je plante là pour l’alpaguer, sans rouscailler.
Elle sort ! Je voulais dire quoi ? J’improvise…
Salut minette, ô toi, ma belle promise…

Pour le moment, son regard reste inexpressif.
Je balance, d’un ton plutôt persuasif :
Ça te brancherait, ce soir, un restau sushi
Là, dans le local à poubelles, sans chichi ?

Mais voilà, je me prends une énorme châtaigne
Moi, le matador de comptoir, une vraie teigne.
Elle me regarde avec hauteur et dédain,
Affublée d’un jeunot de l’année, un crétin !

Il se dandine sur ses griffes prédatrices,
Sa pelisse sans couture ni cicatrice.
Il me nargue d’une étincelante denture…
Moi, le Greffier, humilié par cet’ miniature !