L’inspiration

 

L’inspiration est là, il faut que je m’en saisisse, que je l’attrape pour la transformer en prose avant qu’elle ne s’échappe, avant qu’elle ne se dissipe dans les méandres de mes neurones subitement activés à mettre des mots pour la rendre lisible.

Je la sens en moi, je la perçois. Comment faire pour qu’elle reste là ? Le moindre mouvement de ma part, la moindre pensée risquent de l’effaroucher et de la voir disparaître. Cette perspective me laisse un instant pétrifiée. De quoi ai-je l’air d’ailleurs, arrêtée dans mon geste, stoppée dans mon mouvement et frappée d’évidence devant ce qui apparaît en moi ? Certes, je la sentais bien bourgeonner depuis un certain temps, mais pas suffisamment pour la regarder en face.

Patiemment, lentement, comme on apprivoise un animal apeuré, je laisse cette inspiration venir en moi, prendre de l’assurance, se poser doucement sur les branches de mon imagination et de ma sensibilité. Je ne sais pas encore à quoi elle ressemble. Je l’observe : elle est encore indistincte, diaphane, évanescente, mais c’est bien elle qui, enfin, me fait la grâce de sa visite. Je la reconnais à sa texture si particulière, à ce frisson si léger qui me parcourt intérieurement, éveille ma réceptivité.

Et je me sens habitée soudain d’une force, investie de l’impérieuse nécessité de lui donner libre cours. Alors, je tente une approche : que veut-elle me dire ? De quoi me parle-t-elle ?

Patiemment encore, lentement plus que jamais, je cherche maintenant les mots pour lui donner un sens, pour la vêtir et la rendre vraiment perceptible. Je vais chercher en moi les mots qui lui conviendront, parcourir fébrilement les chemins qui m’amèneront vers les émotions qu’elle véhicule et leur offrir une forme. De temps en temps, une vérification rapide me rassure sur sa présence. J’ai peur de la perdre à partir ainsi à la recherche des mots pour étoffer son reflet et la rendre lumineuse. La rendre Lumière.

Je l’habille de couleurs, mais tremble de ne pas trouver celles qui lui correspondront. Car le moment est délicat : elle pourrait fuir à jamais, se sentant trahie par mon manque de réceptivité et l’absence de justesse de mon vocabulaire. Elle exige de moi un travail d’orfèvre. Je procède par petites touches, tel un peintre pointilliste et peu à peu apparaît dans mon esprit d’abord, puis sous mes doigts tremblants que guide mon crayon, l’inspiration devenue prose. Je la vois maintenant, je l’habille de mes phrases avec le panache qu’elle mérite, mais aussi avec douceur. Elle se livre à moi pour la beauté du mot, pour l’harmonie de la phrase.

Quand tout est dit, j’interroge mon écrit pour évaluer la fidélité avec laquelle j’ai réussi à traduire l’inspiration. Je relis l’ensemble, modifie, ajuste, apprécie le résultat pour vérifier la parfaite concordance avec ce qui a motivé cette démarche. Je pose enfin mon crayon. En moi, tout a été remué, car j’ai dû fouiller partout et mettre tout sens dessus dessous pour trouver l’exacte traduction de ce que l’inspiration avait suscité au plus profond de moi-même. Mais le résultat est là désormais et c’est l’esprit en paix que je peux enfin relire et me délecter d’une lecture qui m’enrichit autant qu’elle me délasse.