Le manque de lucidité

 

Elle a été si prolifique dans son écriture
Que sa créativité s’est asséchée
Comme le lit d’une rivière en été,
Comme une source inexplicablement tarie.

Son imagination caracolait en permanence,
Tel un cheval fougueux indomptable.
Tout était matière à composer un poème,
Tout était sujet à s’emparer de sa plume.

Prise d’une véritable frénésie d’écrire,
Elle manquait de temps pour tout retranscrire.
Son esprit ébauchait mille textes à la fois,
Versifiait dans son sommeil habité de rimes.

Sa verve rebondissait en cascade musicale,
Pour répondre au bouillonnement d’idées.
Elle était emmenée par cette énergie,
Portée par une dynamique a priori sans fin.

Là où sa pensée fusait, mine inépuisable,
Elle allumait un feu d’artifice avec les mots.
Elle les combinait, recherchait leur secret
Pour obtenir d’eux la quintessence.

Elle jonglait avec eux, savait les apprivoiser
Pour les amener docilement dans son texte.
Elle était là, pour les cueillir au bon moment,
Celui où ils s’écoulent comme du miel ambré.

Mais un jour, tout s’est arrêté brutalement.
Elle a cherché, appelé, supplié, imploré.
Seul l’écho de sa détresse lui est revenu.
Elle avait perdu toute capacité à écrire.

L’impensable s’était produit, amère vérité :
Elle n’était plus capable de créer. Point final.
Un grand sentiment d’avoir été abandonnée,
Trahie par ce qu’elle avait pris pour du talent.

La déception, la désillusion s’ajoutent au tableau.
Elle qui croyait maîtriser si bien les mots
S’est trompée complètement sur un sens :
Celui du mot talent. Excès de confiance ou crédulité ?

Toujours en panne

 

Envie d’écrire…  Excitation en moi identifiable.
Ma main ne demande qu’à ciseler ma pensée,
Elle se fait docile, mais piaffe d’impatience.
Toutes les conditions sont réunies pour créer. 

Or, mon esprit regimbe, sourd à mes appels,
Se roule en boule comme le chat fait sa sieste.
Mise devant le fait accompli de sa mutinerie,
Je ne puis que constater ma perte d’autorité. 

Pendant ce temps, ma main, qui n’a rien compris,
S’énerve, s’emballe et mes doigts trépignent.
Sur le point de perdre la face ou ce qu’il en reste,
L’urgence est de réagir et de trouver une parade.

J’avale le dictionnaire indigeste page après page,
Mot après mot, et pars vers un improbable voyage
Débouchant dans un univers sans queue ni tête.
Comment un poème pourrait-il y trouver source ?

Mes yeux se posent avec minutie sur le paysage
Pour tenter d’en extraire un sujet d’inspiration.
Mais les ombres de cette fin de décembre
Tombent rapidement. Extinction du tableau.

Alors mes mains s’emparent d’objets anodins,
Les soupèsent, les interrogent, les ressentent
Comme le ferait un cristallier d’une roche.
Aucune gemme ne les habite. Déception…

J’écoute la musique du silence environnant
Pour tenter de percevoir en moi un frémissement.
Celui qui me donnerait l’amorce d’une écriture,
Fil conducteur de cette histoire qui ne vient pas.

Mutisme le plus absolu de mon environnement.
À croire que tout est privé de vibrations, de vie.
Coup d’œil vers le piano ? Inutile de l’interroger,
Le couvercle fermé de son clavier sert de réponse.

C’est évident, la fibre poétique s’est volatilisée.
Elle a fui devant la frustration qui s’empare de moi.
Je fulmine, invective le dictionnaire, lui, ce faux ami,
Et le remise au rang des livres tombés en disgrâce.

Ma main est toujours là, tapotant inlassablement.
Son impatience s’est muée en énervement.
Écoute-moi bien, ma main… Si tu ne peux écrire,
Laisse mon front sur toi s’appuyer et attendons demain !

Les facéties de la plume

Reprends ta plume seulement quand chante son appel.
C’est elle qui décide de cette relation confidentielle
Entretenue de façon quasi-fusionnelle avec toi.
C’est elle qui choisit de s’enlacer à tes doigts. 

Je sais, tu pourrais être tenté de croire l’inverse
Et de réfuter la vérité faisant d’elle ta maîtresse.
Tu pourrais te targuer de lui dicter tes volontés
Alors que ton esprit se met au service de son agilité.

Je connais ta frustration face au mutisme de ta plume,
Quand ton inspiration lutte contre ce voile de brume.
Il emprisonne toute créativité, recouvre de torpeur
Toute tentative sous tes yeux désapprobateurs.

Je comprends ta déception devant le vide sidéral :
Il t’angoisse en l’absence d’un sujet magistral
Sur lequel tu aurais pu faire éclater ton talent.
Ta plume t’a trahi, toi pourtant d’habitude excellent !

Le constat maintenant dressé, quelle alternative ?
Tu peux opter pour une écriture approximative.
Mais, à juste titre, il est inconcevable de t’en contenter.
Il est donc temps de choisir tes armes et de les affûter.

En premier lieu, apprends à attendre, à temporiser.
Nourris-toi de patience. Plusieurs jours pour t’apaiser.
Propose à tes yeux des paysages de légères aquarelles,
Cueille pour tes narines des odeurs inhabituelles.

Puis, offre à ton corps l’air pur, vivifiant de la montagne,
Prends la puissance de la Nature comme compagne.
Laisse courir tes mains dans les herbes sauvages,
Renoue enfin avec  la Terre, ressens ce nouvel ancrage… 

Tout est ainsi réuni pour susciter la curiosité de ta plume,
Dont la respiration te recouvrira bientôt de son écume.
Celle-là même qui t’apportera le sel de l’écriture.
Ta main s’en saisira sur le seuil d’une belle aventure.

Promenade en forêt

Conseil : aller dans la Nature,
Serrer dans ses bras un arbre
Pour puiser son énergie vitale,
Pour s’imprégner de sa verticalité… 

Bien sûr, quelle évidence…
C’est un concept à la mode,
Concept tendance, dans l’air du temps.
C’est vendeur et de bon ton. 

Mais ce conseil n’a rien de nouveau.
Arrêtons de jouer les faux étonnés !
Quiconque en osmose avec la Nature le sait.
Sinon, il ne ressentira jamais rien. 

Moi je m’en fous. Je n’y crois plus.
C’est l’arbre de mon cercueil
Qui m’enlacera dans l’horizontalité.
Un arbre qui aura d’abord été mis à mort.

Les montagnes russes

Et voilà… Tous ces blocs entassés patiemment les uns sur les autres pour m’aider à sortir du trou, toute cette lente escalade sur les pierres glissantes de la paroi du puits pour me hisser enfin sur la margelle, c’était hier.
J’avais entrevu l’espace d’un instant le paysage bucolique qui m’attendait, j’avais posé mon genou sur le rebord du puits. J’étais prête à me redresser de tout mon haut, préparée à recevoir la lumière et la chaleur de cet automne finissant. Je savourais par avance ce que j’avais perdu de vue depuis longtemps. Je croyais fermement à l’impossible, à l’impensable. Je sentais battre en moi le souffle de la vie m’inonder régulièrement et doucement.
Soudain, elle est arrivée. Une crise d’angoisse terrible, pétrifiante, dévastatrice. Je ne me rappelais plus le degré de violence qu’elle pouvait atteindre parfois.
Je suis retombée… Au-dessus de moi, le ciel et le soleil n’ont plus de raison d’être. Le froid de la nuit descend et apporte son lot de voix fantômes qui m’habillent de leur venin. Mon crayon refuse d’écrire, l’inspiration a fui, les pages du dictionnaire sont blanches. Mes pinceaux ne trouvent plus la couleur qu’attend ma toile. D’ailleurs, elle ne signifie plus rien. Mon corps est douloureux, épuisé par une fatigue pernicieuse. Je ne veux plus de lui car il ne m’obéit plus. Le maître dépossédé de son autorité… Sentiment de n’être plus rien, de n’être rien du tout. Rien… Peur irraisonnée… De quoi, au fait ? Sommeil, sommeil… Je te cherche mais toi aussi tu m’as abandonnée. L’abandon… Pire que la mort…

La rupture

Ils se sont séparés… 

Dénoués, les liens étroits qui les unissaient.
Déliées, les amarres solides qui les retenaient.
La Terre entière est devenue un immense désert
Où désormais, égaré et ivre de solitude, il erre. 

Sa souffrance vrille ses entrailles, il survit.
Elle est telle, qu’il n’a pas conscience de la vie,
Celle qui bruit autour de lui, tel un monde sauvage.
Sa désespérance est si profonde… Elle le ravage. 

Tout est dépourvu d’éclat autant que de saveur.
Il est anesthésié, déconnecté, en apesanteur.
La charpente affective patiemment assemblée
Qui donnait du sens à son équilibre s’est écroulée. 

Quelles sont les fondations mêmes de son existence ?
Un champ de ruines cristallisées dans la souffrance.
Aujourd’hui, les voilà remises totalement en question :
Il s’avère incapable de faire preuve de résignation. 

Vision de ce qu’il reste d’elle en lui : comme hantée,
Chacune de ses cellules en est à jamais affectée.
Il respire, pense, ressent toujours comme elle.
Elle l’obsède, présence permanente intemporelle. 

Elle occupe son espace vital, possède son âme.
Il donnerait cher et chair pour effacer ce drame.
Se souvenir du parfum de son corps le met au supplice.
Rien ne saurait amoindrir cette douleur destructrice. 

Son inconscient aux abois la cherche, la quémande.
Il sursaute, s’affole, ses émotions le commandent.
Partout où elle n’est plus, il la repère,  l’implore.
Il court après une ombre furtive, fantôme incolore. 

Ce n’est finalement qu’un mirage qui le laisse chancelant
Face à la cruelle réalité de l’absence, constat accablant.
Son corps le supplie de lui ramener ce doux poison
Distillé par cette femme devenue son unique horizon…

Silencieuse, elle torture son sommeil chaque nuit,
Echappe à ses caresses mais s’enroule autour de lui.
Quand il comprend au matin avoir fait l’amour à un rêve,
Il hurle de rage, le cœur froid, transpercé par un glaive.  

Il apprend dans la folie de ses sens le mot désamour
Et sa douloureuse résonance s’amplifie, jour après jour.
Sa tristesse rivalise avec un sentiment de trahison.
Il sombre, persuadé de l’imminence de la déraison. 

Un mois, une année ? Le temps ne lui appartient plus…
Il a posé sur le papier toute cette vie, l’a relue…
Une voix intérieure lui murmure : tu survivras…
Sans toi, dans les bras d’un autre, elle oubliera. 

Mais sans toi aussi, elle se souviendra toujours.
Personne ne pourra nier l’existence de cet amour.
Sur le seuil de son cœur, face à tous ses tracas,
Comme d’autres, il finira par guérir… Ou pas.

Toi qui ne liras jamais ce texte…

Où es-tu mon enfant ?
Tu m’as tourné le dos, d’un geste machinal.
Tu es partie dans le beau soleil automnal.
Nous ne nous sommes pas comprises.
Nous étions trop dans la douleur,
Trop dans les émotions.
Je suis sûre que nous mourions d’envie
De nous prendre dans les bras.
Pourtant, ton baiser froid
Lorsque nous nous sommes quittées
M’a laissée démunie et triste.

Où es-tu mon enfant ?
Je souffre de ton absence,
J’ai mal comme si tu étais morte.
Je suis désemparée, je te cherche.
Je supplie le Ciel et la Terre
De te ramener vers moi.
Je voudrais te serrer dans mes bras,
Combler ce grand vide qui se creuse en moi.
L’idée de t’avoir perdue me panique.
Plus rien n’a de saveur ni de couleur.
Sans toi, tout est dénué d’intérêt. De vie. 

Où es-tu mon enfant ?
Quel orgueil mal placé, quelle stupidité
Nous ont poussées à prendre d’autres voies
Que celles de la réconciliation ?
C’est ce que nous étions venues chercher
Mais que nous n’avons pas su cueillir
Alors qu’elle était à portée de cœur.
Nous sommes reparties comme nous étions venues
Sans savoir si nous avions atteint un point de non-retour
Si quelque chose avait irrémédiablement cassé.
Et maintenant ?

Mon arbre

Mon arbre, face à l’automne…

Branches dénudées,
Tronc noir, arbre froid, éteint.
Endormissement.

Sommeil ou mort lente ?
L’angoisse surgit en moi :
Odeur de l’absence…

Coeur en souffrance,
Aucun obstacle à la bise
Enserrant son âme.

Engourdissement
Jusqu’au printemps magicien.
De longs mois d’attente…

Face à soi

La pluie tombe dru
Sur ma souffrance muette
Toutes deux s’écoulent.

Volée de mes forces,
Dévorée de l’intérieur,
Plus morte que vive.

Question en filigrane :
Pourquoi rester là ? Pour qui ?
Dilemme à trancher.

Je vais m’écrouler.
Quel est donc cet ennemi ?
A-t-il un visage ?

Le combattre, oui
Mais l’identifier d’abord.
Et si c’était moi ?