Impossible d’écrire ou de rédiger quoi que ce soit, sans être poursuivie par mon style. En d’autres termes, ce sont toujours les mêmes figures, les mêmes « signatures » qui émaillent mes écrits. Mon empreinte est celle que je retrouve texte après texte, paragraphe après paragraphe. Elle est reconnaissable entre mille, entre toutes et me lasse par manque de renouvellement.
Un vent de renouveau lui fait cruellement défaut, elle peine à se parer d’un nouvel attrait, elle s’affadit. Elle est cette amante vieillissante qui voit sa fin arriver, faute de ne plus pouvoir recourir à quelque artifice que ce soit pour séduire encore son amoureux.
Je me sens enfermée dans ce style que je finis par trouver naïf, voire niais. Il colle à ma personne, me suit comme mon ombre, se tapit dans l’encre de ma plume, dirige mes doigts quand j’écris et sclérose ma pensée autant que ma créativité.
Comme un ouvrier se débarrasserait de ses outils inadaptés, dans un geste de colère, je jette à terre tous ces mots que je ne veux plus voir. Si je synthétise mon champ lexical, je ne sais qu’en appeler aux termes évoquant la lumière, les couleurs et les émotions. Ces dernières ont le champ libre et s’écoulent sans barrage à travers mon corps, me submergeant parfois de leurs débordements incontrôlés qui traversent ainsi mes textes, jouant le rôle de ponctuation inappropriée. Je voudrais pouvoir les brider, les museler et relever la gageure d’adopter un style plus fougueux et alerte, plus incisif.
Rageusement, je lance haut dans le ciel les paragraphes mièvres qui étayent mes écrits, mais les phrases lapidaires dont je les poursuis ne les atteignent même pas et ils retombent en bon ordre sur mon papier pour former un texte qui, une fois de plus, ressemble aux précédents dont je ne veux plus.
La colère monte en moi. Il me semble me débattre dans un minuscule espace : celui, probablement, de ma perte de créativité, et tourner en rond dans un monde exigu qui ne justifie plus de vouloir mettre sur le papier mes émois, mes idées. Pourquoi cette incapacité à me renouveler, à suivre le tempo d’un souffle neuf ? Pourquoi cette impossibilité à faire tomber ce vêtement devenu à la longue un oripeau ?
Je m’empare du dictionnaire que je parcours avidement. La lecture que j’en fais me conforte sur l’existence de nombreuses sources d’inspiration et j’entrevois en les nommant par le terme qui les désigne, des horizons nouveaux, des pistes certaines. Mais comment parvenir à planter un autre décor, à donner un coup de balai à ce style poussiéreux et usé jusqu’à la corde ? Tous les efforts accomplis sont autant de coups d’épée dans l’eau, mais si dépourvus de vie qu’aucun cercle concentrique ne va raviver le rivage asséché de mon inspiration, aucune vibration ne suscite un intérêt, même minime. Je me heurte à des parois de verre derrière lesquelles fleurissent ces horizons que je ne peux atteindre de ma plume, que je ne peux traduire de mes mots. Non, décidément, il n’y a rien à faire… Si je ne me renouvelle pas, je disparaîtrai, je serai vouée à la mort.
Et je m’interroge : les artistes sont soumis à cette nécessité impérieuse de se renouveler, de mettre au monde une création, une œuvre qui permettent tout autant de retrouver leur marque de fabrique que de découvrir une autre facette de leur créativité. Avoir du talent, c’est peut-être rester soi-même tout en offrant un élément nouveau, différent et savoir l’exprimer avec toute la virtuosité dont on est capable.
Et en amour ? Dans ce domaine-là, c’est certain, si le renouveau, l’inventivité, la surprise ne sont pas au cœur de la relation amoureuse, celle-ci se fanera aussi vite que les premières fleurs printanières. Il est vital d’entretenir le feu. C’est la seule source de lumière qui maintient les cœurs en harmonie et à l’unisson. Même critère impérieux dans une relation amicale, ou d’un autre ordre : l’important est bien de la nourrir et de bien la nourrir.
D’où une vigilance constante qui prend la forme d’un défi permanent et perpétuel. Le repos est impossible, quel marin engagé dans une course en solitaire laisserait dériver son voilier pour oser prétendre au sommeil ?
En extrapolant, l’être humain est-il condamné à se renouveler en permanence ? N’est-il pas contraint d’évoluer à l’échelle de l’humanité s’il ne veut pas disparaître ? Mais cette poursuite d’un renouveau perpétuel ne le conduit-il pas aussi à sa perte en voulant devenir toujours plus performant, toujours plus différent, toujours plus fort, en confondant progrès et évolution, avancées technologiques et progrès sociaux ? Ne construit-il pas une sorte de tour de Babel en oubliant d’intégrer la dimension spirituelle à son évolution ?