Libertés ou contraintes

À trop vouloir écrire en bouts rimés,
J’ai délaissé inconsciemment la prose.
Mes idées semblent devenir grimées,
Lorsque rédiger sans vers je m’impose.

À quoi ressembleraient mes émotions
Sans essayer de les canaliser,
De les contraindre sans altération
À s’ajuster à un cadre aisé ?

L’absence de métrique me fait peur.
C’est traverser une grande étendue
Sans repère ni élément moteur,
Se perdre dans l’espace distendu.

Comment trouver la prose savoureuse ?
Où est le plaisir dans ses digressions,
Ses pages noircies d’une encre fiévreuse,
L’ennui d’interminables descriptions ?

Je réfute donc cette liberté
Du cheval au galop sans cavalier,
Préfère à la prosodie me rallier,
Pour apprécier sa musicalité.

Plume capricieuse

Dis-moi, ma plume, me bouderais-tu ?
Tu m’ignores depuis si longtemps…
Pourquoi cette distance entre nous ?
D’où provient ton mutisme ?
Ne joue pas avec mon cœur,
Rassure-moi, ma plume…

Je te laisse choisir l’outil pour ta réponse :
Calame, sergent major, crayon mine…
Prends le plus virtuose, le plus à ton diapason.
Je te laisse choisir l’écrin à qui la confier :
Parchemin, papyrus, carnet de vélin…
Retiens le plus feutré, le plus secret.

Où s’est égaré le souffle qui t’animait,
Me faisait respirer d’un même élan ?
Où se terre cette délicate ivresse
Que procure un poème écrit à ton encre ?
Ton amitié m’aurait-elle délaissé,
Ou t’aurais-je déplu ? Peut-être froissée ?

Ne te soucie pas des règles de prosodie,
Ignore-les sans appréhension aucune,
Dégage-toi sans façon de ce joug.
Cette contrainte bride ta créativité.
Cette liberté octroyée te sied-elle ?
Mesure l’effort auquel je concède…

Je me languis du poids de tes mots,
Du choc musical de tes vers.
Je te cherche dans les lieux les plus improbables,
Mais mes yeux ne te ressentent nulle part.
Ne joue pas avec mon cœur,
Rassure-moi, ma plume…

Plaidoyer pour une poésie libérée

Mention concours Arts et Lettres de France – Bordeaux – 2018
Concours régional de poésie Poitou-Charentes – 2019

Renverse la dictature de la prosodie,
Fais fi des règles de versification,
Des répétitions, de la métrique !
Quitte au plus tôt cet étouffant conformisme !

Lâche-toi ouvertement dans ton écriture !
Adopte, pourquoi pas, la désinvolture…
Oublie d’ores et déjà les rigueurs des sonnets,
Débusque immédiatement ta créativité bridée !

Joue-toi clairement de la contrainte des rimes,
Recherche l’inspiration des cimes tout là-haut.
Invente à profusion des mots qui collent à la réalité,
Adopte un esprit profondément novateur !

Ose, pour une fois, te défouler, t’envoler !
Mais n’oublie jamais d’en vérifier la musicalité…
Laisse-la éclabousser tes textes de son écume,
Libère enfin ta plume jusqu’alors muselée !

La forêt d’ombre d’où personne ne revient

Concours de poésie Frontignan – 2018

J’ai osé entrer dans cette forêt d’ombre,
Une forêt dont nul n’est jamais revenu.
L’appel de l’obscur retentit encore en moi,
Incantation lointaine, fascinante et angoissante.
Quand soudain s’élève la tempête,
Je me sens hypnotisée par la peur suscitée,
Totalement prisonnière de sa puissance.
Des gémissements montent dans les aigus :
C’est le vent qui joue sa furieuse partition.
C’est aussi lui qui se jette à l’assaut du ciel
Afin d’écrire les notes manquantes.
Sa symphonie glaciale est dévastatrice,
Sa musique ricane, semble étouffer la vie
Dans un hideux feulement de fin de monde.
Je suis prise au piège, perdue corps et âme…
À quoi bon lutter ? Autant lâcher prise.
Du plus profond de mon être monte
un hurlement.
Tête en arrière, visage giflé par les éléments,
Mon cri s’élève, chevauche le vent,
S’enroule de son panache, court au-delà des cimes.
Je fais corps avec lui, abandonne mes peurs.
Il nettoie mon âme, souffle pour en apaiser les brûlures.
Probablement suis-je en train de côtoyer
la folie,
Je ne m’appartiens plus, je ne suis plus
moi-même.
J’expire dans un ultime souffle toutes
mes douleurs.
Subitement s’impose un silence éclatant.
Je gis dans une clairière emplie de paysages nouveaux :
Je venais de faire le vide, éliminer tout ce qui encombrait ma vie.
J’avais déposé mes fardeaux.
Une « re-naissance ».
J’étais revenue de la forêt d’ombre.

Inexorable refrain

Il porte tout le poids de sa vie sur ses épaules affaissées.
Il a l’âge de ce mur de pierres sèches contre lequel il vient s’asseoir.
Cette année, le printemps ne rallumera plus en lui la flamme.
Mais il ne le sait pas encore.
Ses mains engourdies caressent le fragment d’une lettre jaunie.
Sa tête inclinée sur le texte laisserait penser qu’il lit,
Mais ses yeux clos retiennent des souvenirs presqu’éteints
Qu’il tente de ranimer en fouillant sa mémoire lacérée
par le temps.
L’encre, depuis longtemps délavée par ses larmes,
Livre cependant l’ombre des mots d’amour psalmodiés
À celle qui ne vit plus que dans son pauvre cœur.
Chaque mot est une déchirure supplémentaire infligée à son âme.
Il implore la mort de rompre ce lien ténu qui le garde ici-bas.
Il jette alors ses maigres forces dans cette ultime prière
Qui n’arrive même pas au ciel, de tant d’épuisement.
Cependant, l’ombre du mur grandit, s’étend à l’approche
de la nuit.
Elle l’enveloppe maintenant et enserre son cœur.
Derniers battements, dernier souffle.
Peu à peu, son corps se fond dans cette froide obscurité.
Est-il devenu pierre ou bien cette poussière balayée par le vent ?
Le temps s’écoule, quelques secondes, une vie ou une éternité…
C’est déjà demain. Au bout du sentier inondé de soleil,
Deux jeunes amoureux marchent hanche contre hanche,
Se tiennent par le bout des doigts frémissants,
Viennent s’asseoir contre le mur de pierres sèches
gorgées de chaleur.
Le jeune homme pense à cette lettre d’amour au fond de sa poche
Qu’il va murmurer tout à l’heure à sa douce, amoureusement.
Ils laissent le printemps écrire leur amour qu’ils veulent éternel,
La brise tiède tourne les pages de leur vie
Qui éclate autour d’eux avec insolence.

De fil en aiguille

Elle se fait craintive, la vie :
Encore au stade embryonnaire,
C’est un petit être en devenir
Qui ne sait presque rien de lui. 

Elle se veut inventive :
Une touche de couleur pour les yeux,
Un nez qui deviendra irrésistible,
Un cœur capable d’aimer, d’être aimé. 

Elle est surprenante :
Ce bébé qui vient au monde
Encore tellement dépendant
Mais doté d’une farouche envie de vivre ! 

Elle se renforce, s’étoffe :
Au fil des ans, l’enfant devenu adulte
Avance, se blesse, tombe, se relève,
Et tire expérience de son parcours. 

Elle joue l’illusion :
Un matin, il se réveille, surpris :
Déjà tant de chemin parcouru !
Premier bilan, questions existentielles… 

Elle devient fuyante :
Si demain était le dernier jour ?
Mais peur aussi de regarder en arrière
Par crainte de l’avoir gaspillée… 

Elle s’effiloche :
Se pare de nostalgie et de mélancolie.
La vieillesse est déjà là et sonne l’épilogue.
Pourtant il reste tant à apprendre ! 

Elle se fait à nouveau craintive :
Elle s’efface, laisse la place peu à peu
En saupoudrant sur son passage
Le voile de sa sagesse, seule vraie richesse.

Vague solitude

Pages blanches de mots et de couleurs,
Écrites à l’encre invisible des souvenirs,
Pages muettes pourtant chargées d’émotions,
Sa mémoire vacillante veut tout oublier.

Elle a marché longuement et sans but
Jusqu’à percevoir le bruit de la mer.
Au-delà des dunes, elle l’a découverte,
Entremêlant ses gris avec ceux du ciel.

Son souffle régulier invitait à le suivre.
Elle s’est alors hasardée jusqu’à la plage
Pour écouter une dernière fois
L’histoire indécise de son existence.

Allongée sur le sable devenu froid,
Elle s’est lovée sur elle-même,
Entourant son corps de ses bras
Pour se bercer au rythme des vagues.

Rien ni personne n’aurait pu la rejoindre,
Les yeux clos pour oublier même sa présence,
Le murmure du ressac l’a emmenée.
Son cœur peu à peu s’est apaisé.

Le chuchotement de l’eau l’a recouverte
Tandis que son corps se fondait dans le sable,
Ne laissant qu’une empreinte incertaine.
Si vous passez par là, regardez bien…

Embrasement

Une gorgée de vin rouge envahit ma bouche
Ton regard en coin craint-il que je m’effarouche ?
Rassure-toi, je connais ce piège possible
Auquel je résisterai : l’ivresse indicible.

Les yeux clos, j’écoute la chaleur des arômes
S’insinuer en moi, m’apaiser comme un baume.
Lentement, ils déposent leurs parfums suaves
Qui jonglent adroitement avec les octaves.

Douce musique de mes papilles où se loge
Ce puissant nectar dont elle chante les éloges.
Tes yeux rieurs me confient que tu m’envisages
Et procèdent déjà à mon déshabillage.

Ma tête, pesante, bascule doucement,
Surprise d’un cotonneux engourdissement.
Dans la pénombre des bougies tremblotantes,
Vient poindre en moi une envie palpitante.

Sur mes lèvres, une goutte de l’élixir…
Désir brûlant, je te supplie de l’adoucir.
Tu te penches vers moi pour cueillir un baiser
Je ne maîtrise plus rien, je suis embrasée.

Pacte

Au contact de tes mains, je te reconnaîtrai,
Aux saveurs de ta bouche, je m’en remettrai,
Aux assauts de ta vigueur, je me soumettrai,
Au sommet de notre plaisir, je renaîtrai. 

Mais la partition n’est pas encore finie…  

À mes chuchotements ardents, tu te plieras,
À mes désirs exaltés, tu consentiras,
À mes caprices libérés, tu t’offriras,
À ma soif de victoire assouvie, tu boiras. 

Car je suis une femme.
Je suis ta Femme.

Poésies mignardises

Un jardinier vraiment pas dégourdi
Dans son jardin sema le mot radis.
Que poussa-t-il, des radis ou des mots,
Dans le jardin de ce pauvre nigaud ?
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Un morceau de bois sur un lac tout blanc
Traversa cette belle patinoire.
C’était tout simplement un crayon noir
Tirant un trait sur le papier tremblant.
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Si grande était sa peine de cœur
Qu’il épancha ses larmes dans l’étang.
Qu’advint-il de lui après tout ce temps ?
Il se transforma en saule pleureur.
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Un pêcheur, parti un soir en maraude
Remonta la rivière d’émeraude.
Il y attrapa une carpe-amour
En offrande pour sa belle-de-jour.
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Un musicien très imaginatif
Hisse sa harpe en haut d’une montagne
Prétendant piéger le vent dans ses cordes.
Mais finit en état méditatif
Confronté aux émotions qui le gagnent
Face aux éléments et à leur exorde.
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Pour sa belle, son cœur battait si fort
Qu’il en cherchait toujours le réconfort.
Alors il choisit d’être boulanger
Pour pétrir en pensée son corps léger.
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Un pêcheur, peu habile de son coup
D’un silure vint toutefois à bout.
L’un comme l’autre étaient là, bouche bée
Désireux de victoire se nimber.
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Un illusionniste perd sa baguette.
Il soupçonne un habile pickpocket.
D’ailleurs, il l’entrevoit dans le miroir…
Mais ce n’est autre que lui ! Curieuse histoire…